CHRONIQUE : MARCHE OU CRÈVE

Rien de nouveau sous le soleil question harcèlement de rue. On avait entendu avec une liesse non contenue parler d’une loi qui devait dissuader nos compatriotes, troubadours de la braguette, de nous héler à chaque pas que l’on ose faire dans l’espace public. De nombreux pamphlets ont été rédigés à ce sujet. Je ne vous apprends donc rien quand je vous dis qu’une femme qui déambule dans la rue, en jogging, en djellaba, en mini, en « mormone style », en Gucci ou en Pimkie, suscite la même réaction qu’un énorme couscous présenté à un homme sortant d’une grève de la faim. Nous sommes des burgers pour le commun des mâles marocains. Phrases poétiques vantant les louanges de nos formes harmonieuses et de notre postérieur visiblement dément, invitations distinguées à enfourcher une 103 en la compagnie de l’hurluberlu qui la chevauche avec fierté –malgré ses sandales dévoilant de jolis champignons–, punchlines travaillées d’un quarantenaire dans sa berline pendant que sa femme s’occupe de sa descendance, etc. Bref, c’est à se demander si la mixité sociale et l’égalité n’existent ici que dans la drague. Le terme « drague » étant un doux euphémisme, évidemment.
Là où je vais peux être vous surprendre c’est que, naïve que je suis, je pensais qu’une fois maman, passé le stade de la fraîche jouvencelle qui se balade (ou plutôt qui fait 20 mètres pour aller faire une course), on allait ENFIN me foutre la paix. Qu’une fois mon indisponibilité affichée, le Marocain, pieux et en pamoison devant sa propre mère, laisserait tranquille celle d’un autre.

« Je crois n’avoir jamais été autant alpaguée qu’enceinte »

Me suis foutu le doigt dans l’œil jusqu’au cortex. Lorsque j’ai commencé à ressembler à une aubergine, aux alentours du 6e mois, je me suis mis en tête de faire de longues marches, promenant mon bidon. Honnêtement, ce stade de la couvade est loin d’être appétissant. T’es grosse, vénère, arborant un masque de grossesse qui pourrait laisser penser que tu ne connais pas le gel douche, on pourrait te laver la face à la pierre ponce. Mais ça ne les gêne pas du tout. Je crois n’avoir jamais été autant alpaguée qu’enceinte. Onomatopées explicites, phrases louant mon état de fertilité, la moitié de mes nausées de grossesse ont été déclenchées par leurs envolées lubriques.
Pervers, tordus, mal éduqués, mal embouchés ? Pourtant, au regard de ma proéminence abdominale et des lois archaïques du pays, il est clair qu’enceinte = déjà prise, légalement parlant. Mariée. Pas disponible. A quelqu’un d’autre puisqu’on fonctionne en propriété ici. Rien à faire.
Passé le stade de la gestation, place à la mise bas et à la balade en poussette. Fière de présenter au soleil ma progéniture, j’entreprends, folle de liberté que je suis, d’embarquer la miniature pour des virées à quatre roues. Qui plus est pendant Ramadan, période de recueillement et de prohibition de pensées impies. Sans mentir, pendant le mois sacré, j’ai éprouvé une liberté relative. Pas parce que les hommes s’interdisaient le sport national, mais simplement parce qu’ils dormaient. Le peu d’individus croisés ne se sont pas gardés de signaler leur appétit charnel. So much pour la spiritualité.

 « Quand tu me dragues en poussette, je dois faire quoi ? »

Le reste du temps, surprise ! Les Homo erectus, en djellaba ou en jeans, ont une obsession pour les nourrissons. Chez eux ils ne s’en occupent pas, mais dehors ils se répandent en bénédictions tout en lorgnant avec délectation votre poitrine nourricière (ou pas). Jeunes qui vous balancent la formule consacrée depuis une voiture tout en vous draguant ouvertement, vieux sous régime porno depuis 30 ans… Tous à la même enseigne. J’ai beau me répéter que je n’ai pas fait ce bébé toute seule, qu’à un moment il y a eu l’intervention d’un géniteur et que ça devrait les calmer, rien n’y fait. Brandir un doigt d’honneur, brandir son alliance, brandir une couche joliment décorée et leur faire un masque avec, hurler pour leur faire honte. Walou. « Là où il y a de la gêne, y’a pas de plaisir » comme dit ma mère. Au-delà du dégoût profond que m’inspire ces individus répugnants qui réduisent la femme à un produit de consommation courante, qui prônent un respect sans borne à leur mère mais qui matent celles des autres, je me questionne quant à leur bêtise. Sérieux, quand tu me dragues en poussette, je dois faire quoi ? Laisser le bébé sur le trottoir et m’enfuir avec toi ? Leur cerveau est comme les baghrir en fait. Plein de trous. Encore une histoire de trou, la ligne directrice de leurs pensées.

Soraya Tadlaoui

Amoureuse de mode et d’(entre)chats, Soraya Tadlaoui a étudié à Paris la conception rédaction et la danse. Après une première expérience auprès du service de presse de Burberry, elle fait ses armes à la rédaction d’ABCLuxe, au Glamour, en tant que styliste photo auprès du Bureau de Victor agence de photographe, puis à L’Express.fr/Styles. En 2009, elle s’envole pour New York à la poursuite de ses deux passions, avant de tenter l’aventure casablancaise en 2011. Elle intègre alors la rédaction de L’Officiel Maroc. Depuis, professeur de danse, styliste, rédactrice freelance pour différents supports de presse, éditrice de contenus en communication éditoriale et rédactrice web pour le webzine nssnss.ma, elle surfe sur la tendance et sur les petites vagues de Dar Bouazza.

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