QUAND LA MODE SE RACHÈTE UNE CONSCIENCE

Fin des mannequins poids plume, photographes épinglés pour harcèlement sexuel, traçabilité de la fabrication : la mode opère un grand ménage. Shoelifer passe au crible cette tendance au nettoyage à sec.

EN CHAIR ET PLUS EN OS

La mode a longtemps été décriée et montrée du doigt parce qu’elle incitait à l’anorexie. L’industrie prend désormais, et c’est une première, le problème à bras-le-corps. Devançant même la législation, les géants du luxe LVMH et Kering ont adopté en septembre 2017 une charte de bonne conduite. Gucci, Saint Laurent, Louis Vuitton et Dior n’emploieront plus de mannequins jugés maigres. Et ça ne s’arrête pas là. La « Charte sur les relations de travail et le bien-être des mannequins », établit d’autres critères, comme l’âge. Exit donc la taille 32, mais aussi les modèles de moins de 16 ans. Une véritable révolution qui prend en compte le bien-être des mannequins, souvent assimilés à des machines, mais également l’influence de l’image sur la société. Les enfants ne participeront plus à des shootings ou défilés où ils représentent des adultes. Chacun reprendrait donc sa place ? Une réaction à l’hyper sexualisation de pré-ados et les travers que cela engendre ? Oui, car la maigreur et l’âge ne sont plus les seules « choses dont tout le monde est au courant mais on s’en fiche ». À l’image du scandale Harvey Weinstein, la mode a brutalement ouvert les yeux sur des pratiques courantes du milieu, pourtant jusqu’alors largement tolérées et surtout tues, par les mannequins comme les poids lourds de l’industrie et les magazines.

À CORPS PERDUS

Subitement, l’industrie se réveille. A la lumière de la dénonciation dans le milieu du cinéma des harcèlements sexuels subis par les actrices, les mannequins dénoncent aussi les chantages et autres agressions dont ils sont la cible. Terry Richardson, photographe aussi célèbre que sulfureux, aux nombreuses dérives, se voit ainsi banni par les éditions CondéNast. Les révélations se succèdent : faveurs sexuelles contre éditorial, obligations de céder à ses avances pour participer à un shooting, pédophilie, le photographe au travail « porno-chic » voit ses frasques mises à nu. Et il n’est pas le seul. Les hashtags #Metoo et #Balancetonporc encouragent les victimes de harcèlement sexuel et de viol à sortir de l’ombre et du silence. Devant l’objectif, Bruce Weber est également accusé d’abus sexuels par le mannequin Jason Boyle. Monstre de l’industrie de la mode, signant des éditoriaux pour les plus grands (comme CR Fashion Book), Bruce Weber ne serait que la partie visible de l’iceberg. Plus récemment encore, Mario Testino, référence du monde de la mode et des people (il a signé la photo officielle des fiançailles du prince William et de Kate Middleton) a été accusé de harcèlement sexuel par 13 personnes, mannequins ou anciens assistants.

Plus largement, au-delà de prises de paroles et de dénonciations à la chaîne, cette mise (enfin) en lumière des travers pervers de l’industrie expose les rouages d’un système entier à refonder, basé jusqu’alors sur l’instrumentalisation extrême des corps. Autre exemple ? Sara Sampaio, ange de Victoria’s Secret qui révèle sur les réseaux sociaux l’usage contre son gré de clichés de nu par le magazine Lui et leur publication sans compter la pression subie pendant le séance photo pour qu’elle se dénude. Des mannequins pas maîtres de leur corps, pourtant leur principal outil de travail ? Un paradoxe que l’industrie, désormais dans le viseur de la société, ne peut plus s’autoriser.

FASHION VICTIMS

Et si la mode ne faisait plus de victimes ? Humaines et animales. Pendant trop longtemps elle n’a pas eu à rendre de comptes, mais l’industrie de la mode ne peut plus s’offrir le luxe d’exploiter hommes, femmes, enfants et animaux. Si Stella McCartney, précurseur de pratiques éthiques, a initié la tendance d’une mode plus responsable, elle n’est plus seule. Non, la mode n’est plus seule au monde. L’environnement, les conditions humaines de travail, les salaires, les déchets produits par l’industrie, la mise à mort d’animaux au nom de l’esthétique : la démarche d’assainissement est globale, vers plus de responsabilité. Nombre de griffes dans le vent fondent leur ADN sur l’urgence écologique et sociale tandis que des marques historiques revoient leurs procédés, renonçant par exemple à la fourrure, à l’instar de Gucci et de Michael Kors, pour ne citer qu’eux. Plus qu’une tendance marginale, il s’agit d’afficher sa bonne conscience, dans le but de séduire des consommateurs de plus en plus attentifs à ce qu’ils achètent, qui veulent adhérer aux valeurs de la marque, avant même le produit.

Alors qu’il est désormais difficile –voire impossible– de cacher ses mauvaises pratiques, tant l’information est aussi accessible que largement relayée, la mode, si elle s’efforce de corriger ses erreurs, va-t-elle parvenir à refonder les bases d’un système où chaque acteur a sa part de responsabilité ? Grande scène de ménage ou renaissance morale, affaire à suivre.

Soraya Tadlaoui

Amoureuse de mode et d’(entre)chats, Soraya Tadlaoui a étudié à Paris la conception rédaction et la danse. Après une première expérience auprès du service de presse de Burberry, elle fait ses armes à la rédaction d’ABCLuxe, au Glamour, en tant que styliste photo auprès du Bureau de Victor agence de photographe, puis à L’Express.fr/Styles. En 2009, elle s’envole pour New York à la poursuite de ses deux passions, avant de tenter l’aventure casablancaise en 2011. Elle intègre alors la rédaction de L’Officiel Maroc. Depuis, professeur de danse, styliste, rédactrice freelance pour différents supports de presse, éditrice de contenus en communication éditoriale et rédactrice web pour le webzine nssnss.ma, elle surfe sur la tendance et sur les petites vagues de Dar Bouazza.

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