LEÏLA SLIMANI : « POURQUOI AVONS-NOUS AUTANT DE MAL À PARLER DE SEXUALITÉ AU MAROC » ?

Vendredi 7 juillet, Leïla Slimani est venue à la rencontre de ses lecteurs à Casablanca. Invitée par l’Institut Français, elle a présenté son dernier roman, Chanson douce –qui lui a valu le Prix Goncourt 2016. Débat et échanges avec l’écrivaine étaient au menu de la soirée, ponctuée de lectures d’extraits du roman, animée par l’actrice et metteur en scène Fatym Layachi. Nous avons profité de cette occasion pour lui poser quelques questions sur son prochain livre, Sexe et mensonges, dont la sortie est programmée le 6 septembre prochain. Après avoir évoqué l’addiction sexuelle dans son premier roman, la folie meurtrière d’une nounou dans le 2e, elle s’intéresse, dans cet essai, à la vie sexuelle des Marocaines, notamment en leur donnant la parole, sans tabou.

Dans Sexe et mensonges, votre prochain opus, vous parlez de la sexualité des femmes au Maroc. Pouvez-vous présenter votre livre en quelques mots ?

Il s’agit d’un essai, qui sera aussi adapté en roman graphique. Il est basé sur un ensemble d’entretiens que j’ai mené, pendant près de deux ans et demi, avec des Marocaines qui ont accepté de parler librement de sexualité, de leur rapport au plaisir, de leur intimité, de leur jeunesse, parfois de leur enfance, certaines de leur avortement. L’une d’elles par exemple, a évoqué un viol qu’elle a vécu…

Tous ces entretiens sont entrecoupés de réflexions sur ce qui se passait au Maroc au moment même ou je faisais cette enquête : un certain nombre d’affaires qui tournaient autour de la sexualité, que ce soit Much Loved, Amina Filali [la jeune fille violée forcée d’épouser son violeur, NDLR], ou encore les cas d’homosexuels qui ont été violentés à Fès, l’affaire de la jupe [à Inezgane, NDLR], etc. Des affaires, tournant autour du corps, qui ont fait polémique. Je me suis donc demandé : « Pourquoi ce débat est-il aussi hystérisé au Maroc ? Pourquoi avons-nous autant de mal à parler de sexualité sans que cela prenne des proportions terribles ou scandaleuses ? » C’était mon interrogation.

Pourquoi ce débat est-il aussi hystérisé, selon vous ? Quelle réponse apportez-vous ?

Je pense qu’aujourd’hui nous n’avons pas tout à fait choisi notre modèle de société sur la question du corps. Nous avons des lois patriarcales, traditionnalistes et qui, finalement, ne reconnaissent qu’une seule sexualité, la sexualité conjugale. Des lois qui, par conséquent, nient la sexualité hors mariage et bien sûr celle des homosexuels. Or, l’âge moyen du premier mariage est aujourd’hui de 28 ans. Il est absolument évident que les lois ne sont ni applicables ni appliquées. Et si elles le sont c’est de manière arbitraire. Il y a donc un sentiment de frustration et d’insécurité que j’ai senti chez les femmes, et de manière générale chez les jeunes. Je pense que tous ces éléments nourrissent une hystérisation autour de cette question. On sent qu’il y a des éléments qui empêchent l’évolution de l’appareil législatif sur cette question, car les pratiques des jeunes sont complètement en décalage. C’est pourquoi il est intéressant d’étudier cette « tension ». Ensuite, savoir comment elle va évoluer et se résoudre, je ne suis pas magicienne, je ne sais pas.

Vous avez échappé à la censure jusqu’à présent, ne craignez-vous pas d’être rattrapée avec cet essai ? Nous ne sommes plus dans la fiction…

Il s’agit d’un texte qui est là pour faire écouter la voix des femmes marocaines, afin d’apporter ma pierre au débat. Mais comme je l’explique dans tout le livre, je suis tout à fait d’accord avec le fait qu’on ne soit pas d’accord avec moi. Je ne dis pas que ma vision de la sexualité ou que ma vision de la société est la bonne, je dis simplement que cela serait bien que j’ai le droit de le dire et que j’ai le droit de défendre MA vision. Et je pense qu’au Maroc on peut « vivre ensemble » tout en ayant des visions et des croyances très différentes. Que l’un puisse être très pieux, l’autre ne pas l’être. La vraie question, c’est comment on fait pour vivre ensemble ? Je serais étonnée que ça se passe mal… Quand je vois la soif de débat chez les jeunes, l’ouverture d’esprit, l’envie de discuter de tous les sujets et même d’exprimer des désaccords : je pense que là-dessus, la société marocaine est en train de changer et qu’elle a envie d’engager des débats de société.

Quelles sont les questions que les jeunes vous posent souvent lors des rencontres-débats?

« Comment on fait pour devenir écrivain ? Est-ce que vous vous êtes fâchée avec votre famille quand vous êtes devenue écrivain ? Est-ce que ça ne vous fait pas peur ? », etc. Je note que les jeunes expriment souvent cette crainte : la peur de se fâcher avec leurs proches. Il y a cette peur de sortir de la norme et de la parole convenue. Et en même temps, ils expriment une forme d’admiration, en me disant « Vous dites les choses, vous crevez les abcès ».

Je pense que la jeunesse marocaine est fatiguée d’une certaine hypocrisie et de la langue de bois, qui pèse sur elle beaucoup plus que sur les autres parties de la société. La jeunesse, elle est belle quand elle est libre, et elle a besoin de liberté.

Un projet de roman en cours ?

Oui, j’en ai un mais je manque de temps pour travailler dessus. En revanche, je ne sais pas encore quelle thématique j’aborderai. Si je le savais, d’ailleurs, je ne le dirais pas : je n’arrive à écrire que sur des secrets.

Fatima Haim

Après des études d’histoire et de journalisme, elle est tombée dans la marmite de la pub et de l’édition, un peu par hasard, en collaborant avec différentes agences. Une fois dissipé l’effet « potion magique », le journalisme la rattrape. Elle papillonne alors dans différents supports : FDM, Afrique Magazine, L’Officiel… Car en 2014, cette parisienne (d’adoption) s’était rendue à Casablanca pour y passer quelques jours. Elle y est encore! Toujours en quête d’air pur (et iodé), pour buller en terrasse ou se déconnecter à coups de longues marches.

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