EROS & APHRODITE

Le minimalisme serait-il sur le déclin ? Les lignes épurées à la Céline lasseraient-elles ? À l’heure du gender fluid, une mode à contre-courant prend le pli d’exacerber la sensualité. Un sexy agressif qui n’est pas sans rappeler l’ère glorieuse du porn-chic cher à Tom Ford période Gucci à la fin des années 90. On effeuille le phénomène.

Sur le tapis rouge de Cannes on ne voyait qu’elle. Bella Hadid en robe incendiaire signée Alexandre Vauthier renvoyait la robe fendue d’Angelina Jolie qu’elle portait aux Oscars, au rang d’uniforme de nonne, embrassant la tendance d’une mode de moins en moins suggestive. Est-ce assez pour déclarer obsolète l’épure graphique qui règne en maître sur les podiums depuis 2011 ? Certains voient dans la déferlante de transparences, de fentes et autres décolletés le retour d’une esthétique basée sur la séduction ostentatoire. Inspiré par l’audace de Gianni Versace, Tom Ford – initiateur avec la complicité de Carine Roitfeld du mouvement d’un érotisme élégant recette du succès de Gucci lorsqu’il y officiait de 1990 à 2004 – ne change pas d’approche en 2016. Sa campagne pour l’eau de Cologne Eau de Portofino est pour le moins explicite avec des corps sublimés exposés et une tension sexuelle manifeste. Les ingrédients sont donc les mêmes.

Retour sur les années Tom Ford chez Gucci, de 1990 à 2004.

Même son de cloche chez Carine Roitfeld : dans les pages de son magazine « CR Fashion Book », une ode au glamour évocateur distillée à travers les séries mode où les mines aguicheuses et les poses lascives contrastent avec l’aseptisation de shootings qui jouent de plus en plus sur la confusion des genres et l’asexualisation de coupes oversized et unisexes.

Aperçu des séries mode du CR Fashion Book lancé par Carine Roitfeld en septembre 2012.

L’hyper sexualisation serait peut-être une réaction à la tendance d’une mode de plus en plus monacale. Face à un Rad Hourani défenseur d’un dressing genderfree, certains créateurs semblent décidés à exagérer féminité et masculinité à son paroxysme – on se souvient du tollé soulevé par les verges à l’air sur le podium de Rick Owens. Que Tom Ford, Terry Richardson ou Carine Roitfeld persistent dans la provocation sur papier glacé, la logique se comprend puisqu’ils en sont les pionniers. Ce qui est plus étonnant c’est que de jeunes créateurs, ultra connectés, conscients des changements du monde et de l’appréhension nouvelle des genres par la jeunesse, réinventent cette féminité agressive (car exposée). Fentes jusqu’aux hanches, seins dévoilés, chutes de rein affolantes, découpes outrancières, Olivier Rousteing, Alexandre Vauthier et Anthony Vaccarello sont les nouveaux maîtres de cette séduction textile. À l’image de Kim Kardashian – qui ne laisse planer aucun doute sur son genre, on en veut pour preuve les couvertures de Paper et plus dernièrement du GQ soulignant le moindre de ses attributs moulés dans des robes choisies au rayon enfant –, ou d’une Rihanna image d’une vulgarité féministe, les créations de ces nouveaux ambassadeurs d’une esthétique scandaleuse prônent un retour de la femme fatale. Guerrière chez Balmain, débridée chez Alexandre Vauthier, rebelle chez Anthony Vaccarello. Est-ce un hasard si c’est le jeune créateur belge qui a été choisi pour succéder à Hedi Slimane chez Saint Laurent ? Le rock androgyne est-il mort ? Sommes-nous après tout fatigués d’épure ascétique et de coupes informes ? Du grunge désabusé ? Est-ce une réaction à la mouvance de mode pudique ? Car il s’agit bien d’un retour d’une mode insolente, clinquante, impudique, pleine d’assurance, magnétique, assumée, que dévoile cette nouvelle génération. On ne parle pas de la délicatesse de transparences d’un Valentino, de la sophistication précieuse d’un Zuhair Murad ou d’une sensualité princière d’Elie Saab. On parle d’une mode de nouveau scandaleuse qui exhibe des jambes, des poitrines et des postérieurs, avec flegme. Le néo-exhibitionnisme ? Sur les podiums américains, Michael Costello affiche décolletés plongeants et fentes interminables. Versace (dont Anthony Vaccarello était chargé de diriger la création de la ligne Versus jusqu’en avril dernier) ne dément pas son amour inconditionnel pour une mode pour le moins incisive.

Quelques exemples de campagnes de communication et de défilés à l’esprit provocateur affirmé, de 2000 à 2014.

Quant au chausseur Stuart Weitzman, il opte lui pour une campagne au printemps 2016 où Lily Aldridge, Joan Smalls et Gigi Hadid s’affichent nues de la tête aux chevilles, ce qui n’est pas sans rappeler les campagnes naturistes des supermodels des années 90. Est-ce un manque d’imagination ? Les codes de cette mode hyper-sexuée semblent se contenter de recycler les codes et l’esthétique des nineties : l’armée de supertops aux corps de rêve, loin de l’androgynie, les pièces en elles-mêmes (le retour des robes nuisettes, du satin, etc.) et des campagnes qui convoquent la même subversion en utilisant la même mise en scène. Une sorte de réchauffé du hot. On ne saurait voir dans la soudaine exposition de l’ère Tom Ford au Musée Gucci de Florence – où toute cette période avait été ignorée jusqu’alors – célébrant cette esthétique ultra-sensuelle et provocante une simple coïncidence. Le sexe ferait-il de nouveau vendre ? Montrées du doigt par le passé, les publicités provocatrices et controversées de Sisley, American Apparel ou Tom Ford, sonnaient comme l’expression d’un sexisme, d’une objectification de la femme et de misogynie. En 2016, ce nouvel érotisme semble vouloir traduire au contraire une maitrise de son identité, une confiance en sa féminité et une affirmation via le corps de sa volonté en tant que femme d’en disposer. Ni pute ni soumise ?

Déferlante de décolletés plongeants et de fentes vertigineuses sur les podiums tout comme dans les campagnes de communication de cet été 2016.

Soraya Tadlaoui

Amoureuse de mode et d’(entre)chats, Soraya Tadlaoui a étudié à Paris la conception rédaction et la danse. Après une première expérience auprès du service de presse de Burberry, elle fait ses armes à la rédaction d’ABCLuxe, au Glamour, en tant que styliste photo auprès du Bureau de Victor agence de photographe, puis à L’Express.fr/Styles. En 2009, elle s’envole pour New York à la poursuite de ses deux passions, avant de tenter l’aventure casablancaise en 2011. Elle intègre alors la rédaction de L’Officiel Maroc. Depuis, professeur de danse, styliste, rédactrice freelance pour différents supports de presse, éditrice de contenus en communication éditoriale et rédactrice web pour le webzine nssnss.ma, elle surfe sur la tendance et sur les petites vagues de Dar Bouazza.

Pas Encore De Commentaires

Laisser une Réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

@shoelifer

Instagram