RETOUR SUR LE FUTUR

À ceux qui maugréent que la mode n’invente plus rien, une génération de créateurs nés à l’ère d’Internet riposte avec une foule d’innovations. Plutôt que de réinventer l’esthétique, on se met en quête de matières et d’expériences du vêtement. L’avenir de la mode ne résiderait-il plus dans le fond mais bien dans la forme ? Entre l’émergence du tech-à-porter et des pièces expérimentales, à quoi ressemblera la mode de demain ? On joue les Cassandre.

Quand on fantasme le futur, on s’imagine des robots surdoués, de l’intelligence artificielle et des vêtements automatisés, armures du quotidien. 1984 revu par la réalité, et encore plus exagéré par les progrès observés par la technologie ces 30 dernières années. La mode n’est pas en reste, mais avec une nouvelle approche : joindre l’utile à l’agréable. Et si à l’avenir la mode ne se contentait pas d’être superficielle ? Si elle dépassait les considérations esthétiques ? Elle a été le miroir de changements sociaux, libératrice, frondeuse, provocatrice, deviendra-t-elle profondément fonctionnelle ? Des matières qui répondent à des problématiques climatiques, des innovations textiles surprenantes. Ainsi, la planète fashion prendrait le même chemin que celui emprunté par le design, à savoir devenir une réponse à travers l’objet, une solution au quotidien pour l’utilisateur. A la manière d’un smartphone, la mode de demain nous facilitera la vie. Perspective réjouissante, initiée par des précurseurs en la matière, créateurs inspirés par les technologies. Mais, avant d’être une mode du futur, la mode a tout d’abord été futuriste…

L’avant de l’après
Shoelifer-ModeDuFutur-PacoRabanneDès les années 60, Pierre Cardin, Courrèges et Paco Rabanne initient une tendance avant-gardiste. Paco Rabanne invente la broderie sans fil et les matières issues de l’industrie, obnubilé par une fascination pour l’espace et l’univers de la science-fiction. PVC, vinyle et caoutchouc font irruption dans la mode, mais restent un phénomène marginal tout en ouvrant la voie à une mode galactique fantaisiste. Cependant, aujourd’hui la technologie et la science sont au cœur des préoccupations des créateurs, non plus comme une chimère mais bien comme une opportunité tangible d’explorer d’autres options créatives. Technologies de la communication, biotechnologie, impression 3D, matériaux techniques, les idées fusent. Le premier à intégrer la high-tech dans ses pièces ? Hussein Chalayan. En annonçant que « la mode se renouvellera à travers la technologie, de nouvelles fibres, de nouvelles façons de fabriquer des vêtements. Sans prise de risques, on ne peut pas changer le monde », il présage du tournant nouveau pris par les créateurs, désormais libres d’imaginer des pièces révolutionnaires dans des laboratoires de pointe. Chalayan, pionnier dans la démarche, fait défiler la Remote Control Dress en 2000, premier vêtement portable à intégrer un système sans fil, fabriqué avec des matériaux issus de l’aéronautique et qui change de forme à l’aide d’une télécommande. En 2007, il propose des robes rétractables. Des créations bluffantes, prouesses techniques qui augurent de la tendance tech-à-porter.

Tech-à-porter, l’accessoire essentiel
De la smart fashion en somme, présentée entre autres à Wearable, le rendez-vous des pièces issues de cette volonté d’une mode aux frontières du réel qui se tenait à la Gaité Lyrique à Paris en février dernier ; ou à The Future of Fashion is now, dont la 3e édition a eu lieu en mars 2016 en Chine. Preuve que la fashion sphère se tourne vers l’avenir en wifi l’illustre Met Museum de New York optait au printemps dernier pour le thème « Manus x Machina, Fashion in an Age of Technology« , mettant en avant cette synergie prolifique entre les deux domaines à travers le temps. Une rétrospective futuriste qui souligne la contemporanéité de l’affrontement entre homme et machine, leur rivalité face au savoir-faire, et la possible complémentarité entre les deux protagonistes. 

L’exposition « Manus x Machina, Fashion in an Age of Technology » au Met Museum de New York.

Des vêtements qui liraient dans nos pensées, nous protégeraient du froid ou du chaud, garantiraient notre sécurité, accéléreraient nos mouvements, et qui seraient aussi connectés.
Première du genre ? L’Apple Watch et consoeurs, et depuis c’est un véritable engouement pour ces objets connectés, accessoires de mode, comme les Google Glass ou le Bracelet June de Netatme qui prévient lorsque le seuil d’UV est dé passé.
Au printemps 2016, Salvatore Ferragamo annonçait sa volonté d’intégrer des microchips uniques dans ses modèles de sacs et chaussures pour assurer la traçabilité de ses produits, garantir leur authenticité et contrer la contrefaçon. Une mode connectée, certes, mais que conserve-t-elle de sa dimension glamour ?

Après la 4G, la 4D ?
Shoelifer-ModeDuFutur-IrisVanHerpenC’est du côté du savoir-faire qu’il faut se pencher. Une styliste comme Iris Van Herpen est l’une des plus avancées dans l’élaboration de collections expérimentales. En faisant appel à des procédés d’impression 3D, elle crée une haute couture à la fois poétique et onirique, d’avant-garde. Profondément contemporaine, pour ne pas dire en avance sur son temps, elle conçoit ses collections sur des logiciels avant que les différentes parties des pièces soient imprimées en 3D. Le résultat ? Sculptural, émouvant, minutieux, une symphonie au futurisme réalisée avec dextérité et délicatesse. Au gré de ses collections, elle invente des matières inédites, extraordinaires. C’est dans ce courant que s’inscrivent les jeunes designers portés par cette envie de créer vraiment, comme si le rendu ne suffisait plus. En 2011, Andreia Chaves, créatrice brésilienne, applique dans InvisibleShoe les techniques de l’illusion d’optique et l’effet caméléon pour inventer des chaussures quasiment invisibles, fabriquées en 3D.Ying Gao crée pour la New York Fashion Week en 2013 un tissu qui s’active vocalement pour des pièces étonnantes de portabilité, des créations qui grâce à des capteurs dissimulés répondent à la commande vocale. Siri en plus couture !

Playtime par Ying Gao.

Combiner avancées technologiques – comme l’exploitation de capteur sur des pièces interactives par la designer de Montréal – et dimension plausible sans négliger l’aspect visuel, c’est toute l’ambition de cette nouvelle vision de la mode. Avec ses pièces fabriquées à partir de tissu épongé d’automobile, Inass Saghdaoui, distinguée en 2015 à l’issue du défilé de fin d’année de la Casa Moda Academy, est la preuve que cette jeune génération est fascinée par la matière et par la quête de la fibre originale. Recycler, inventer, concevoir, non plus des lignes mais des textures, comme si l’on avait essoré les possibilités de révolutionner les apparences, et se concentrer sur l’essence. Au-delà du concept, le concret !

Le changement c’est maintenant
Évidemment, le courant d’une mode gender fluid temporise ce constat sans pour autant l’invalider. La mode ne voudrait plus d’étiquettes, mais au contraire plus de constance. De consistance même. Servir à quelque chose, être éthique comme le suppose Stella McCartney, être en fusion avec son temps et même s’avérer intelligente, pratique. À l’inverse d’une mode intellectuelle, bourrée de références au passé ou à des artistes, une mode fonctionnelle sans pour autant sacrifier le Beau. Des matières réinventées, qui pollueraient moins, tueraient moins (de nombreuses marques comme Giorgio Armani se retirent du marché de la fourrure) pour une mode moins égocentrique. L’exemple ultime de cette mode qui se profile ? Kunihiko Morigana, le prodige derrière “Anrealage” – mot-valise englobant “real” (réel), “unreal” (irréel) et “age” (époque) –, qui prône un mode plus qu’inventive. Le jeune Japonais, qui a créé sa marque en 2005, se distingue par des lignes classiques cousues d’une technologie de pointe. Ses tailleurs changent de couleur en fonction de la lumière, les habits s’adaptent à la morphologie, sont phosphorescents pour vivre de jour comme de nuit, voire changent de forme ou de motifs au gré d’un rayon UV. Il ne s’agit plus de lubies technologiques ou de prouesses techniques mais bien d’envisager le monde de demain, de l’appréhender concrètement via le vêtement. La mode passerait de futile à utile. Le mot est lâché…

Les imprimés chez Anrealage.

Soraya Tadlaoui

Amoureuse de mode et d’(entre)chats, Soraya Tadlaoui a étudié à Paris la conception rédaction et la danse. Après une première expérience auprès du service de presse de Burberry, elle fait ses armes à la rédaction d’ABCLuxe, au Glamour, en tant que styliste photo auprès du Bureau de Victor agence de photographe, puis à L’Express.fr/Styles. En 2009, elle s’envole pour New York à la poursuite de ses deux passions, avant de tenter l’aventure casablancaise en 2011. Elle intègre alors la rédaction de L’Officiel Maroc. Depuis, professeur de danse, styliste, rédactrice freelance pour différents supports de presse, éditrice de contenus en communication éditoriale et rédactrice web pour le webzine nssnss.ma, elle surfe sur la tendance et sur les petites vagues de Dar Bouazza.

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