RENCONTRE : PATRICK JOUIN ET SANJIT MANKU REFONT UNE BEAUTÉ À LA MAMOUNIA

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La Mamounia s’est refait une beauté ! Déjà ? Encore ? Eh oui, il ne suffit pas au palace de faire partie des plus beaux établissements au monde. Pour culminer au sommet, la Grande Dame (c’est son petit nom) entretient sa déco et la rafraîchit régulièrement. Cette année, la délicate tâche a été confiée aux parisiens Patrick Jouin et Sanjit Manku qui ont donné un joli coup de frais, et de lumière, aux différents points de restauration de l’hôtel. À Shoelifer, ils confient leur vision de la déco et du design en général, et de ce lieu mythique en particulier.


Ces deux-là sont complémentaires. Patrick Jouin est designer. Certaines de ses créations et meubles font partie des collections permanentes des plus grands musées, dont le MOMA. Sanjit Manku est un architecte d’intérieur chevronné, aux références aussi prestigieuses. L’un dessine donc des objets et les met en scène, l’autre structure. L’un est volubile, l’autre plus réservé. Ensemble, au sein du Cabinet Jouin Manku de design et d’architecture, ils conçoivent des projets surprenants, entre artisanat et conception industrielle, entre lieux chargés d’histoire et nouvelles créations. Un hôtel dans une abbaye, une boutique de bijoux pour Van Cleef & Arpels ou encore… les points de restauration de La Mamounia à Marrakech. Certains lieux ont été créés, comme le nouvel italien, ou transformés, comme le Churchill bar converti en caviar lounge et salle de cinéma. Le nouvel asiatique, l’espace salon de thé par Pierre Hermé on encore le buffet de la piscine ont, quant à eux, été repimpés. Première impression ? Plus de lumière. On le remarque tout de suite car La Mamounia a, à raison, été critiquée pour ses intérieurs trop sombres. D’ailleurs, les chambres aussi sont désormais plus claires, et de la domotique y a été ajoutée. Les habitués salueront… Mais ce n’est pas tout. Se promener dans les nouveaux espaces met de bonne humeur. Pourquoi ? Grâce à des éléments exubérants et joyeux, comme un retour à l’enfance. Ainsi, les lanternes de géant, tout en rondeurs, donnent envie de les toucher, et les tentes dans le jardin évoquent des tipis où l’on se cacherait bien pour se raconter des secrets autour d’une pizza aux truffes. Enfin, le buffet de pâtisseries de la piscine, tout en courbes et lumière (même ici on remarque le changement !) est une malicieuse sollicitation à la gourmandise. De l’humour, il fallait oser en saupoudrer le nez de la Grande Dame. Et ce n’est pas fini, nous dit-on. Le restaurant marocain n’y échappera pas, tout comme d’autres espaces que nous gardons secrets pour le moment. En attendant, nous vous proposons de découvrir ce duo surprenant.

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Parlez-nous de votre notoriété. Deux écoles s’affrontent : on ne peut réussir ailleurs que lorsqu’on a fait sa place chez soi ? ou le contraire?

Sanjit Manku Il faut réussir ailleurs avant de vous faire respecter par vos compatriotes. Comme dit le dicton français, “nul n’est prophète en son pays”. Quand on est nouveau, tout le monde a les yeux rivés sur vous puis, très vite, après quelques années, vous n’êtes plus le “nouveau gars à la mode” et les gens se désintéressent de vous. Généralement, c’est là que vous allez à l’aventure en dehors de vos frontières. C’est là que vous pouvez briller.

Patrick Jouin Dès que nous avons commencé à travailler ensemble, 90% de nos projets étaient à l’international. Le Brésil, la campagne anglaise, New York, la Malaisie, Las Vegas… Nous avons essaimé le monde avant que l’on nous offre de très belles opportunités en France.


Avez-vous commencé votre collaboration sur des projets commerciaux ou de particuliers ?

Patrick Jouin Il est vrai que nous avons beaucoup travaillé sur des projets “business” tels que des restaurants ou encore des boutiques (pour Alain Ducasse ou encore Van Cleef & Arpels, ndlr). Mais pour le résidentiel, la demande est croissante. Et puis nous ne voulons pas devenir les spécialistes d’un seul type de lieux.


Les restaurants sont tout de même une belle vitrine pour vous. Les gens y passent et peuvent y trouver l’inspiration.

Sanjit Manku Chaque projet a sa personnalité propre. L’un est romantique, l’autre mystérieux… Nous travaillons sur la rénovation d’une gare en même temps que sur la décoration d’un yacht, d’un château près de Paris ou encore de ces espaces à La Mamounia. Que des projets très différents. Le risque d’accepter trop de projets de la même catégorie est de commencer à vous répéter. Quand ceux-ci sont différents, on fait appel à des compétences différentes, à des process différents aussi. Cela pousse à aiguiser son intuition en permanence. Nous nous basons sur l’intuition, une intuition presque naïve.


Quel est, pour vous deux, communément ou séparément, le projet qui vous a le plus challengé ?

Patrick Jouin Pour être honnête, le challenge est plus dans notre volonté de nous réinventer que dans le projet en lui-même. Ce que l’on ne veut pas : être simplement professionnels. Sanjit parlait de naïveté. Je ne sais pas si c’est cela exactement. Mais se rapprocher d’un enfant, qui réalise qu’il est chanceux, oui. Nous voulons grandir avec nos projets, apprendre, ne jamais être blasés. Et c’est cela le challenge.

Sanjit Manku Nous traitons chaque projet comme si c’était l’unique et le dernier. Je le dis de manière très optimiste. C’est une philosophie.

“ Chaque chantier est une montagne à gravir et nous ne savons pas ce que nous trouverons sur l’autre flanc !”

Concevoir un restaurant ne relève tout de même pas de la même difficulté que refaire un château…

Sanjit Manku Il n’y a pas un jour sans qu’un membre de mon équipe ne vienne me dire que nous avons tel ou tel problème sur un chantier. Entre eux, chacun se targue d’avoir un problème plus important que celui de son collègue ! (Rires). La réalité est que ces soucis sont les pareils. Il s’agit juste de différentes proportions, différents timings, et puis ça tourne. Tous les projets ont leur lot de soucis et de magie à la fois. Nous les choisissons en nous assurant qu’aucun n’est facile. Nous choisissons aussi des collaborateurs qui ont de hautes ambitions. Chaque chantier est une montagne à gravir et nous ne savons pas ce que nous trouverons sur l’autre flanc ! La seule chose que l’on peut préciser à nos collaborateurs c’est la taille et la durée du projet. Un marathon ou un sprint ?


Et concernant La Mamounia, que leur avez-vous dit ?

Patrick Jouin La dimension du projet réside dans l’émotion qui entoure ce lieu. Nous touchons à un mythe. Il y a beaucoup de politique autour d’un mythe. Beaucoup de souvenirs… C’est fragile. Tous les deux, nous pouvons l’envisager comme nous ressentons les choses mais nous sommes observés. Les habitués, les gens qui y travaillent et peut-être même les chats qui y résident. (Rires). Les clients ont des souvenirs ici. C’est une vraie pression.


Il est vrai que beaucoup de gens ont des souvenirs ici. La rénovation de La Mamounia, il y a 10 ans, a changé beaucoup de choses. Vous passez derrière Jacques Garcia, parfois en refaisant totalement un espace, parfois en ne modifiant presque que la décoration. Que l’on aime son style ou pas, ce dernier est très… imposant.

Patrick Jouin Le style de Jacques Garcia est basé sur l’histoire. On retrouve les codes du style arabo-mauresque un peu partout ici. On pourrait presque le qualifier de DJ mixant les éléments historiques. Il aime faire en sorte qu’on se sente à l’aise et heureux dans un environnement historique. Il nous lègue un endroit facile à réimaginer. Son travail est très bien fait, il a fait appel à d’excellents artisans.

Sanjit Manku L’idée du re-mix est amusante. Vous prenez les hits, vous enlevez certains instruments et y ajoutez d’autres… L’idée est que vous utilisez la base existante pour concevoir du nouveau. Ce n’est pas gênant tant que vous imaginez quelque chose de fort. Ce qui n’est pas bon, c’est de laisser son ego prendre le dessus. Ce que je veux est moins important que le fait de voir des clients dans l’hôtel. Le lieu doit être vivant, au goût du jour. Comment raconter notre chapitre de l’histoire, c’est ce qui est intéressant pour nous. Nous tentons de trouver ce dont le chapitre actuel a besoin.


La Mamounia a quelque chose de magique. Tout est question d’émotions, d’expériences et d’envie d’en être mais, il me semble, qu’il y avait besoin de lumière. Pas uniquement dans les chambres mais également dans certains espaces, un peu clos du palace.

Sanjit Manku Nous nous sommes dit qu’il serait intéressant d’y apporter un peu de dynamisme, avec justement quelques crescendos, et des volumes, à certains endroits. La base est tellement solide que nous pouvons nous appuyer dessus.


Quand on se promène dans les endroits que vous avez (re)touchés, on remarque de nombreux clins d’œil très amusants. Comme la verrière du patio dont seule une partie est colorée : le verre à moitié plein. Ou encore votre façon d’essaimer les lanternes comme un petit Poucet…

Patrick Jouin Tout repose sur ce que nous aimerions que les clients ressentent en arrivant. Puis en prenant le temps d’observer, de découvrir… S’installer dans le restaurant et voir le dessin d’un chat et se dire “Ce n’est pas n’importe quel chat, c’est celui que je viens de voir dans les jardins!”. C’est comme un bonbon que vous dégustez tout doucement et dont vous découvrez petit à petit les différents goûts.


Vos meubles et créations sont d’ailleurs tout en rondeurs, généreux…

Patrick Jouin Oui, généreux et sensuels. Ils donnent envie de toucher, envie d’être bien, tout simplement. On est bien dans des lieux qui sont souples.

Sanjit Manku Pierre Hermé (pâtissier en chef de La Mamounia, ndlr), nous disait l’autre jour qu’il était capable de reconnaître nos projets. Que nous avions une patte. C’est très flatteur et en même temps, restrictif. Nous passons notre temps à nous dire que nous n’avons pas de style, que nous faisons chaque objet ou lieu selon le contexte. Nous tenons beaucoup à cela, donc c’est assez déroutant.


Mais le style est une ligne de conduite, une signature. Ce n’est pas une répétition.

Sanjit Manku Je réalise que notre job est d’essayer de concevoir le monde dans lequel les gens ont envie de vivre. Des lieux dans le monde qui nous paraissent devoir exister. Suivant cette philosophie, il y a une chose que nous nous assurons de ne jamais avoir, c’est l’agressivité. Nous pouvons construire des lieux scintillants, glamour, puissants mais sans agressivité. Du coup, il n’y a jamais beaucoup d’angles…

Patrick Jouin Ce n’est pas évident mais les angles droits, ce n’est pas forcément pour nous ! (Rires)


Gabrielle Chanel a réinterprété sa petite robe noire et sa veste en tweed des centaines de fois. Et pourtant, son style est reconnaissable parmi tous sans qu’elle ne soit dans la répétition. Vos bulles au restaurant d’Alain Ducasse du Plaza Athénée n’ont rien à voir avec vos réalisations ici mais on peut suivre le fil…

Sanjit Manku Il y a de la magie dans ce que nous faisons. Dans notre métier, le sujet est souvent autour d’une forme ou d’un matériau. Et c’est ce que nous tentons de ne pas faire : répéter une certaine forme ou une certaine recette.

 

Photo (c) Alan Keohane

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