APPROPRIATION CULTURELLE : ON REFAIT LE MATCH MAROC-ALGÉRIE

appropriation culturelle

Marocanité du zellige, algérianité du caftan… Marocains et Algériens s’accusent mutuellement d’appropriation culturelle sur Internet. Comment ? Pourquoi ? Chez Shoelifer, cette bataille culturelle 2.0 nous a titillé et on a décidé d’y regarder de plus près. Décryptage d’un phénomène bien ancré dans son siècle. 

Vous vous souvenez du Maghreb Uni, ce doux rêve hérité du XXe siècle ?  Pour l’instant, on en est loin, et ce n’est pas un scoop made in Shoelifer. Parallèlement aux vives tensions politiques entre Rabat et Alger, de nombreux Marocains et Algériens ont ouvert un nouveau champ de bataille : celui du patrimoine et de la culture. Couscous, tajine, caftan, gnawa, raï, les internautes marocains et algériens se disputent la paternité (ou la maternité, on ne voudrait fâcher personne) d’éléments culturels communs et s’accusent mutuellement d’appropriation culturelle.


Un débat mondial 

Ce sont loin d’être les seuls : l’appropriation culturelle, un concept né dans les années 1990, s’inscrit dans la grande tendance actuelle des luttes antiracistes, décoloniales et intersectionnelles. À l’origine, le débat sur l’appropriation culturelle est né aux Etats-Unis, juste après la sortie d’un documentaire consacré à la communauté des danseurs (voguing) afro-américains et latinos, homosexuels et/ou transgenres de New-York, intitulé Paris is burning (1991). À l’époque, une partie de la communauté afro-américaine, victime de discriminations et d’oppression, avait peu apprécié que le réalisateur -blanc- s’empare de thèmes culturels africains : ils avaient alors parlé d’appropriation culturelle. 

 

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Depuis, on en débat partout, tout le temps : Kim Kardashian est régulièrement accusée de black fishing (le fait de s’approprier certaines caractéristiques physiques des femmes noires, sans l’être et donc sans subir les formes de discrimination qui vont avec). Plus récemment, la Maison Dior a fait polémique auprès du public chinois car elle a utilisé un dessin mêlant des fleurs et des oiseaux sur certaines pièces de sa collection automne-hiver 2022-2023 ; or la Chine considère qu’il s’agit d’un plagiat des peintures traditionnelles de son pays. Plus éloquent encore, le Bénin, le Sénégal, Madagascar, l’Algérie et le Maroc (pour ne citer qu’eux) ont exigé de la France qu’elle restitue plusieurs œuvres d’art ou objets historiques pillés au moment de la colonisation et exposés dans des musées français. 


L’affaire du Zelligegate

Mais revenons à la rivalité qui fait rage entre le Maroc et l’Algérie et au scandale du “zelligegate” (oui à la rédac’, on est d’humeur taquine). Voici un bref rappel des faits, si jamais vous habitez dans une grotte : le 22 septembre, Adidas dévoilait le nouveau maillot de la sélection nationale algérienne, inspiré selon l’équipementier allemand du “zellige du palais El Mechouar à Tlemcen, caractéristique des pays maghrébins”. 

https://www.instagram.com/p/Ci21siOMUKf/?hl=fr

Quatre jours après, Mehdi Bensaïd, le ministre marocain de la Culture, adressait une mise en demeure au représentant légal du groupe Adidas afin de “requérir le retrait de la collection de maillots de sport inspirée de l’art du zellige marocain”, selon un tweet de Maître Mourad Elajouti, l’avocat représentant le ministère. 

Raison invoquée ? “​​Il s’agit d’un énième cas d’appropriation culturelle, qui consiste à s’emparer d’une expression culturelle traditionnelle, pour l’adapter à une autre culture dans un contexte différent, sans autorisation ni mention de la source”, ajoute l’avocat. 

Et finalement, le 14 octobre, Adidas publiait un communiqué pour exprimer “ses regrets” et annoncer une “issue positive” après des “discussions constructives avec le ministère marocain de la Culture”. 

À ce jour, les maillots de la discorde sont toujours disponibles à la vente. Mais le communiqué de l’équipementier allemand démontre à quel point le débat sur l’appropriation culturelle est pris au sérieux. 


Une guerre culturelle anachronique

Entre les Marocains et les Algériens, ces attaques mutuelles d’appropriation culturelle sont devenues régulières. Elles accompagnent à la fois le conflit politique entre Rabat et Alger, et la volonté pour chacun des deux pays -anciennement colonisés- de défendre son identité nationale dans le monde. 

Tajine, couscous, jellaba, gnawa, raï, la nationalité d’illustres personnages historiques tels que Tariq Ibn Ziyad, Ibn Khaldoun et Ibn Battouta,… tout y passe. Même le caftan, et ça Shoelifer peut en témoigner : dès que la rédac’ publie un article dédié à ce dernier, elle reçoit de nombreux commentaires revendiquant l’algérianité du caftan. 

Et pourtant, cette bataille acharnée de paternité (ou de maternité) est vaine et anachronique. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces fabuleux trésors patrimoniaux précèdent le concept même de nation; un phénomène très contemporain au regard de la longue (et belle) histoire de l’Afrique du Nord. Tout au plus, on peut considérer que la jellaba, le couscous ou encore le zellige sont maghrébins. Il ne peut donc y avoir d’appropriation culturelle, puisqu’il s’agit de culture partagée, d’un patrimoine commun. 

Par ailleurs, le caftan existait chez les Ottomans  et les gnawas nous viennent du sud, au-delà des confins du Sahara, en Afrique subsaharienne… ce qui rend le concept d’appropriation culturelle encore plus relatif. 


Aimons-nous vivants ! 

Finalement, le Maghreb a la chance de renfermer un patrimoine d’une richesse inestimable, fruit de siècles d’histoire et de civilisations – les Juifs, les Amazighs, les Phéniciens, les Romains (dont on a hérité de la tradition du zellige d’ailleurs), les Arabes, les Ottomans (la liste n’est pas exhaustive) – qui devrait nous rassembler et faire notre fierté, plutôt que nous pousser à nous déchirer. A l’occasion du 23e anniversaire de son accession au trône, le 30 juillet 2022, le roi Mohammed VI a notamment déclaré que « les frontières qui séparent les deux peuples frères, marocain et algérien, ne seront jamais des frontières qui ferment l’atmosphère de communication et d’entente entre eux. Nous voulons plutôt qu’elles soient des ponts, portant entre leurs mains l’avenir du Maroc ».

Et en plus, on en est capable ! Le 16 décembre 2021, le couscous a été inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel sur la base d’un dossier préparé conjointement par le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Mauritanie.

Seul, on va plus vite, ensemble on va plus loin ! 

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