MANIFESTATIONS EN IRAN : CLICHÉS ET RÉALITÉS D’UN PAYS FANTASMÉ.

Manifestations en Iran

Depuis quelques semaines, les manifestations en Iran s’enchaînent pour protester contre le régime des mollahs, avec les femmes à l’avant-garde de la contestation. Ultra-conservateur, ce pays pourtant en pleine mutation demeure l’objet de nombreux fantasmes et clichés. Shoelifer a décidé de mener sa petite enquête en discutant avec les principales concernées.

Depuis quatre semaines, les manifestations en Iran contre le régime des mollahs ne s’arrêtent plus. Ce vent de colère -inédit et suivi par le monde entier- souffle depuis le 16 septembre dernier, suite au décès à l’hôpital de Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, trois jours après son arrestation à Téhéran par la police des moeurs  pour “infraction au code vestimentaire strict de la République islamique”. Autrement dit, parce qu’elle ne portait pas correctement son voile. Entre-temps, l’Organisation médico-légale iranienne a publié un rapport sur les circonstances du décès de Mahsa et estimé qu’elle était morte des suites d’une maladie, exonérant ainsi la police des mœurs. Une conclusion qui n’a pas convaincu la famille de la jeune femme ni l’opinion publique. Depuis plusieurs jours d’ailleurs, la mobilisation de la rue iranienne prend de l’ampleur, avec de plus en plus d’hommes -solidaires des femmes- et de seniors, toutes classes sociales confondues. L’onde de choc commence également à faire des émules  dans plusieurs pays musulmans : en Afghanistan ou, plus proche de nous, en Tunisie. 


Punk is not dead 

Pour des milliers de femmes et les “millenials” -qui représentent plus de la moitié de la population-, ce drame a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Après 44 ans de République islamique, soutenue par son bras armé les Gardiens de la Révolution (pasdarans en iranien), et une crise économique sans précédent (inflation, chômage, pénuries), les gens n’en peuvent tout simplement plus. Dans les rues, les écoles et les universités, des centaines de jeunes femmes ont brûlé leur voile -au péril de leur vie- pour protester contre des lois injustes et foncièrement misogynes. 

Mais elles ne sont plus seules : partout dans le pays, les hommes, les populations plus âgées, se rassemblent pour exiger la “liberté” et la “fin de la dictature”. Or, selon Marjane Satrapi, auteure franco-iranienne du splendide Persepolis, récemment interviewée par The Guardian, le soutien de la gent masculine aux combats féministes est une différence fondamentale avec la contestation contre la Révolution islamique de 1979, qu’elle a vécue lorsqu’elle était adolescente.


La fameuse zone grise 

En Iran, l’avènement de la République islamique a incontestablement été un coup dur pour les femmes (leurs droits) et les libertés individuelles. “Mais je ne me retrouve pas dans la vision fantasmée que le reste du monde a de mon pays, comme si tout s’était arrêté en Iran et qu’on vivait en noir et blanc”, nous explique Shirin, une étudiante de 25 ans installée à Paris. En Iran, comme dans d’autres pays musulmans (pas tous), il y a un fossé entre la théorie (les textes de loi) et la pratique dans la vie réelle. Une sorte de zone grise, “un espace de négociation entre l’Etat et les citoyens, qui offre des soupapes de liberté. Bien sûr, c’est plutôt réservé aux élites, aux classes bourgeoises et à la jeunesse”, poursuit Shirin. Il suffit de jeter un œil au compte Instagram “Rich Kids Of Tehran » pour comprendre que l’Iran n’est pas un pays complètement figé. 

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De là à en parler comme une terre libérale, il y a un fossé que Shoelifer ne saurait franchir, néanmoins il est possible de bousculer bon nombre d’idées reçues. 


Du tchador au voile fashion 

Depuis 1983, en Iran, toutes les femmes (même les étrangères) sont obligées de sortir voilées et habillées de vêtements amples et longs. Pour autant, la plupart des femmes -notamment les plus jeunes- ne portent ni de hijab ni de tchador. Nombre d’entre elles portent un foulard vaporeux sur leurs épaules, qu’elles réajustent rapido sur leurs cheveux  lorsqu’elles croisent la police des mœurs. Car oui, et c’est justement l’objet des manifestations en Iran : les contrôles inopinés de cette police sont encore assez fréquents. 

Là-bas, de plus en plus de jeunes femmes utilisent la mode pour contourner les interdits vestimentaires. Ce phénomène a même donné lieu à un livre sur la mode urbaine iranienne Teheran Streetstyle, écrit par la créatrice et militante irano-américaine Hoda Katebi. Pour s’inspirer, les femmes peuvent compter sur de nombreuses influenceuses iraniennes, dont Sanaz Diary, Mehrnoosh Saanei, Negzila ou encore Ramina Torabii. 


Les restaurants underground 

Si vous êtes fans de la série d’espionnage Téhéran -dont l’une des chansons est devenue un hymne de la contestation iranienne- vous avez sans doute vu des restaurants et des bars iraniens où l’alcool coule à flot et les gens dansent collés-serrés. Attention, même si on vous recommande chaudement de binge-watcher cette série, sachez qu’elle est produite par des Israéliens, qui ont leur propre prisme de la réalité iranienne. 

Sur le papier, l’alcool est banni depuis 1979 en Iran et il est formellement interdit d’en consommer (sinon c’est 80 coups de fouet). Bien sûr, aucun établissement n’est autorisé à en servir. Quant à la musique, personne n’est censé en écouter et encore moins en diffuser. Les “soirées mixtes” sont elles aussi proscrites. 

En 2019 pourtant, la police des mœurs a fait fermer 547 cafés et restaurants à Téhéran pour “atteinte à la morale islamique”. En cause : “l’utilisation de musique illégale” et “l’incitation à la débauche”. En réalité, la capitale regorge de cafés et de restaurants ultra-chics ou “bobos” (mais sans alcool) réservés aux élites ou à la jeunesse, où filles et garçons se côtoient. Petit à petit, la mixité gagne du terrain en Iran, notamment à l’université. 

Il existe aussi quelques restaurants “underground” (ou clandestins), où il est possible de boire de l’alcool, voire même de manger du porc, le tout en totale mixité et sans voile imposé. Mais ces établissements ne sont pas indiqués par des panneaux extérieurs et n’ont pas de fenêtres. “Et il faut réserver assez longtemps à l’avance”, insiste Shirin. 

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Alcool : le système D

L’Iran est fortement touché par l’alcoolisme. En 2012 déjà, la police locale de Téhéran avait publié une étude faisant état d’un conducteur sur cinq ivre au volant. Selon les chiffres du ministère de la Santé, la consommation annuelle d’alcool est de 24 litres d’alcool par adulte de plus de 15 ansg, et il existe une centaine de centres dédiés aux alcooliques anonymes. A titre de comparaison, c’est deux fois plus que la consommation annuelle française (11, 7 litres par personne selon www.sante-publique-france.fr). 

À Téhéran et dans plusieurs régions, il est très facile d’obtenir de l’alcool (et de qualité). Le plus souvent il est acheminé dans le pays depuis le Kurdistan irakien, avant d’être vendu au marché noir ou par des “dealers”. “Il suffit d’avoir le bon contact pour être livré à domicile”, explique Shirin. En revanche, l’alcool est cher : 50 DH la canette de bière, 600 DH la bouteille de vin, 800 DH la bouteille de whisky (et à ce prix là, pas le meilleur). Sachant que le Smic iranien plafonne à 2500 DH.

Des Iraniens plus audacieux -et qui aiment le risque- se sont également lancés dans la fabrication artisanale d’alcool. Une cocotte-minute, de l’éthanol et hop vous voilà capable de concocter de l’Aragh, la vodka locale qui coûte 40 DH le litre. 

“Les boîtes de nuit n’existent pas, mais nous organisons des soirées privées, qui n’ont rien à envier à vos afters casablancaises ou je ne sais quelle fête à Paris. On danse, on boit, on flirte et parfois aussi on prend de la drogue. Pour être tranquille, il suffit de donner des pots-de-vin », lance Shirin. 

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Sexualité : l’ouverture inattendue 

En Iran, l’homosexualité est passible de la peine de mort et les relations sexuelles hors mariage sont interdites. Pourtant, 80% des jeunes filles déclarent avoir un “petit ami”. Encore aujourd’hui, un futur époux, un père ou un frère peut exiger d’une femme un certificat de virginité avant d’être autorisée à se marier. Par contre, il est tout à fait possible de changer de sexe. En Iran donc, il est plus facile d’être transexuel qu’homosexuel. Résultat ? De nombreux homosexuels changent de sexe (alors qu’ils n’en ont pas envie) simplement pour vivre librement leur histoire d’amour. 

La genèse de cette loi étonnamment libérale dans un pays aussi conservateur remonte aux années 1970, quand Maryam Mulkara, une femme transexuelle, a étudié la position de l’islam vis-à-vis de la transsexualité. Elle est allée jusqu’à rencontrer personnellement le chef suprême de la révolution islamique, l’Ayatollah Khomeini, pour discuter du sujet avec lui. Celui-ci a finalement édicté une fatwa autorisant le changement de sexe. Depuis trente ans, l’Iran est l’un des pays qui pratique le plus d’opérations chirurgicales de réattribution sexuelle.  C’est aussi un pays qui connaît un véritable boom de la chirurgie esthétique (+ de 40.000 opérations par an, notamment les rhinoplasties). 

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Une destination touristique ? 

Après l’avènement de la République islamique en 1979, le tourisme s’est brutalement arrêté en Iran. Mais depuis quelques années, ce secteur connaît une petite embellie : 2 millions de touristes en 2020 (une année covidée) et une croissance de +40% en 2021. 

Au-delà de Téhéran, de Chiraz (dont le vignoble est mondialement connu) et Ispahan, de nombreux visiteurs sortent des sentiers battus pour séjourner dans des régions plus rurales et conservatrices, notamment Kashan -véritable fief conservateur-, situées aux portes du désert. Or là-bas aussi la société est en pleine mutation : les tchadors noirs se font rares et les maisons de charme rénovées par l’élite téhéranaise fleurissent un peu partout. Des maisons d’architecture traditionnelle (époque safavide), où le contrat de mariage n’est plus exigé et les couples non mariés sont les bienvenus. Ce qui était inenvisageable il y a encore dix ans ! 

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