COMMENT GÉRER LE TRAUMATISME POST-SÉISME ?

Une semaine après le tremblement de terre au Maroc, Shoelifer s’est adressé à Jalil Bennani, psychiatre et psychanalyste, afin de mieux comprendre les mécanismes du traumatisme post-séisme. Si la parole est libératrice, elle n’est pas simple à engager pour tout le monde, or le plus grand danger réside dans le refoulement. Lequel finira par manifester une détresse au moment où l’on s’y attend le moins.  

Nous avons ressenti le tremblement de terre à Marrakech, à Casablanca, à Rabat… Ce traumatisme collectif n’a pas affecté tout le monde de la même manière, physiquement et psychiquement. Les réactions post-séisme varient d’une personne à l’autre, selon son vécu, sa personnalité. Et bien sûr selon la proximité avec l’épicentre. Mais nous avons tous été impactés d’une façon ou d’une autre. Dans un premier temps, lors de la secousse, nous avons été choqués, traumatisés. Puis, dans un second temps, en découvrant l’ampleur de la catastrophe pour ceux qui l’ont vécue au plus près, nous avons été amenés à relativiser. Le sentiment de culpabilité qui en découle naturellement est à l’origine du formidable élan de solidarité qui s’est déployé, selon Jalil Bennani. Le psychiatre et psychanalyste, auteur d’Un psy dans la cité, nous explique comment reconnaître un traumatisme post-séisme et comment s’en libérer.

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Pouvez-vous nous expliquer la différence entre stress, traumatisme et trauma ?

Pour les spécialistes, notamment les psychanalystes, il y a une distinction entre ces trois états. Le stress c’est quelque chose qui survient lorsqu’il y a une tension forte. On est par exemple stressé lorsque l’on passe des épreuves comme les examens. Il ne peut pas être confondu avec le traumatisme qui constitue une effraction physique et psychique. Cette effraction explique l’effroi qui accompagne la peur et l’angoisse. Tout cela caractérise le traumatisme.

La notion de trauma, utilisée par les psychanalystes après Freud, donne un contenu exclusivement psychologique au traumatisme qui se trouve pour ainsi dire « psychisé ». Chez les Américains, après le 11 septembre, la notion de stress post-traumatique est apparue dans les nouvelles classifications psychiatriques. Malheureusement ces classifications issues du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM (Diagnostic and Statistical Manual), sont d’abord descriptives et ne prennent pas en compte la psychopathologie, science qui permet de comprendre l’origine des symptômes. Cela étant, il faut bien prendre en considération que chaque individu, chaque personnalité réagit en fonction de ce qu’ils ont connu ou de ce qu’ils sont.

« Il faut bien prendre en considération que chaque individu, chaque personnalité réagit en fonction de ce qu’ils ont connu ou de ce qu’ils sont. »


Ce traumatisme peut-il réveiller des mémoires traumatiques qui n’auraient rien à voir avec le séisme ?

Oui tout à fait. Lorsqu’il y a un traumatisme, on va imaginer qu’il dépose une trace. Pas seulement physique bien entendu, car celles-ci sont évidentes, apparentes. Le traumatisme laisse une trace qui va rester dans l’inconscient. Supposons que plus tard, il y en ait un autre, lié à un autre événement. Celui-ci va encore déposer une nouvelle trace sur la précédente et il ne va pas en résulter une juxtaposition mais plutôt une nouvelle trace. Une combinaison, un remaniement des deux traces en une seule nouvelle. La dernière trace n’a plus rien à voir avec la première. La mémoire traumatique est d’ailleurs vérifiée par des expériences. Des enfants qui ont par exemple été exposés à des traumatismes dans le ventre de leur mère ont montré des réactions spécifiques lorsqu’ils ont eu à vivre des expériences plus ou moins choquantes. 

À l’inverse, les enfants qui ont eu une enfance sécurisée sont beaucoup plus à même à résister aux chocs et aux traumatismes. Donc non seulement la mémoire traumatique peut se réveiller, mais surtout elle peut se transmettre, elle est transgénérationnelle. Les traumatismes se transmettent. Les personnes qui ont par exemple connu les tremblements de terre d’Agadir ou d’Al Hoceima en ont forcément parlé à leurs enfants et ces mêmes enfants portent en eux cette mémoire traumatique. Tout comme nous portons un patrimoine génétique, nous portons aussi un patrimoine psychique. Ces derniers sont travaillés par l’environnement, le langage, l’éducation. Un patrimoine psychique ou génétique peut donc s’enrichir ou s’appauvrir, c’est ce que l’on appelle l’épigénétique.

« Les enfants qui ont eu une enfance sécurisée sont beaucoup plus à même à résister aux chocs et aux traumatismes. »


Que peut-on faire à court et à moyen terme pour se libérer de ces traumatismes et en particulier du traumatisme post-séisme?

Il parait d’abord évident que la première chose à faire pour se libérer de toute forme de traumatisme est d’abord d’agir. L’action, peu importe la forme qu’elle prend nous libère. Les populations victimes sont, elles, sous le choc. Elles sont épouvantées. Elles vivent l’effroi et la stupeur à un stade extrême. Une des premières attentes qu’elles ont c’est de nous voir agir, faire des choses pour elles. Car, cela témoigne de notre compassion, de notre solidarité. La part du psychologique vient dans un deuxième temps. Les victimes ne demandent pas tout de suite à parler. Elles demandent seulement une présence sécurisante. La parole va ensuite se libérer, spontanément pour certains et pas du tout pour d’autres. Et c’est à ce moment-là qu’une distinction doit être faite entre ce qui est dit normal et ce qui va relever de la pathologie. Les personnalités fragiles devront vite être identifiées pour être secourues. 

Bien entendu l’écoute à ce moment est primordiale. Elle constitue en grande partie le soutien psychologique. À partir de là, le repérage des séquelles devient possible. La prise en charge thérapeutique sera donc justifiée par un état psychique grave. Dans de telles circonstances, différencier un traumatisme « normal » d’un état pathologique est donc très important. À plus long terme, viendra un temps où les professionnels devront se mobiliser pour se former spécifiquement sur ces questions de prise en charge des traumatismes liés par exemple aux catastrophes naturelles. Ou, comme on l’a connu il n’y a pas si longtemps avec le COVID, à des urgences sanitaires. 

Pour apporter des réponses pérennes, il faudra déployer des moyens conséquents. Je pense notamment au problème des centaines d’orphelins victimes de ce séisme. L’action d’abord, l’écoute ensuite, et enfin la prise en charge thérapeutique. Tout cela doit nécessairement se faire en différenciant l’adulte de l’enfant.

« La parole va se libérer spontanément pour certains et pas du tout pour d’autres. Et c’est à ce moment-là qu’une distinction doit être faite entre ce qui est dit normal et ce qui va relever de la pathologie. »


En tant que parent, à quoi doit-on être vigilant ?

Par définition, on ne dit pas tout à un enfant. On ne lui ment pas, mais en fonction de son âge on peut ou non lui expliquer les choses et rentrer dans des explications plus ou moins poussées. Ce qui est primordial, c’est de ne surtout pas ancrer en eux une quelconque forme de traumatisme. Les enfants les plus jeunes n’ont pas vraiment mesuré et réalisé ce qui s’est passé. S’ils ont ressenti le tremblement, il faut leur expliquer qu’en effet la terre peut trembler, et c’est tout. N’ayant pas la même perception que nous, adultes, les enfants n’ont aucun problème de culpabilité. 

Une fois passé le moment du choc, nous préconisons de jouer avec eux. Le jeu les fera rapidement passer à autre chose. Il faut bien différencier la représentation de l’enfant de celle de l’adulte. Les enfants peuvent être marqués si les adultes les placent en situation traumatique. En leur expliquant avec le langage qu’ils peuvent entendre, ils comprendront plus grands et ne seront pas traumatisés. L’adulte est le premier rempart contre tout ce qui vient de l’extérieur. Le plus grand désarroi arrive lorsqu’un enfant ne croit plus en son adulte référent qui, parfois, est trop traumatisé pour être en capacité de le protéger…   

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Photo (c) : Youssef Boudlal

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