WE4SHE, L’ASSO DE FEMMES DIRIGEANTES QUI MILITE POUR L’EMPOWERMENT DES MAROCAINES.

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Depuis deux ans, l’association We4She œuvre pour l’empowerment et la solidarité au féminin, l’égalité de genre dans les entreprises et l’autonomisation des femmes marocaines. Interview avec sa présidente, Lamia Merzouki. 

We4She, “nous pour elle”. À la rédac’, le concept de sororité, ça nous parle. Ce terme, popularisé par l’ouvrage de la journaliste et féministe Robin Morgan, Sisterhood is powerfull en 1970, est parfaitement incarné par We4She. Une association marocaine de femmes dirigeantes, qui œuvre pour l’égalité des genres en entreprise, l’intégration économique des femmes marocaines et leur autonomisation. Officiellement lancée en 2021, We4She réalise un vrai travail de fond pour changer les mentalités et impacter la société. Non, il ne s’agit pas d’un women’s club élitiste dédié à l’entre-soi, mais bel et bien d’un réseau inclusif qui croit fermement aux bienfaits du “give-back” (rendre ce qu’on a reçu, donner de soi). Et croyez-nous, c’est plutôt inspirant. Alors à l’approche de la journée internationale des droits de la femme du 8 mars, Shoelifer a décidé d’aller à la rencontre de la présidente de We4She, Lamia Merzouki. Directrice générale adjointe de Casablanca Finance City Authority depuis 2010,  elle a un CV à donner le tournis : ultra-diplômée (Essec Business School, Harvard Business School), coach multi-certifiée, touche-à-tout. Lamia est également co-présidente du Réseau des centres financiers verts piloté par les Nations Unies et vice-présidente du WAIFC (World Alliance of International Financial Centers). Entre autres. Hyperactive ? Non simplement, battante, engagée, impliquée et forcément très occupée. On a quand même réussi à l’interviewer entre deux rendez-vous. 


We4She, c’est quoi ? 

C’est une émanation du Women Working for Change (WFC), adossée à l’Africa CEO Forum, un espace d’échange dédié aux décideurs africains, qui rassemble les plus grosses boîtes du continent. L’association marocaine We4She a été officiellement lancée il y a un peu plus d’un an, mais notre réseau existe depuis au moins quatre ou cinq ans. 

En fait, j’ai d’abord été nommée “ambassadrice genre” pour l’Africa CEO Forum. Là, nous nous sommes retrouvées entre femmes des banquières, des dirigeantes d’entreprises ou d’institution, des avocates, des fiscalistes, bref des femmes de tout bord et bien sûr, nous avons refait le monde. Et puis finalement, We4She a signé un partenariat avec l’Africa CEO Forum pour représenter ce réseau panafricain de femmes dirigeantes au Maroc. 

Aalya Ghouli sur We4She

« La sororité est une valeur importante ! Se soutenir les unes les autres et renforcer la synergie des formidables compétences de notre réseau» Aalya Ghouli, CEO de DIGIFI « Smartflous » (Mobile paiement) & DIGISERV ( Digital factory)- BNP Paribas Group

Posted by We4She on Friday, February 18, 2022


Comment recrutez-vous les membres de cette association ? 

Nous sommes plutôt sur une approche de “proche en proche”, de bouche à oreille. Nous avons besoin de femmes dédiées à la cause, qui souhaitent contribuer au développement socio-économique du pays. Nous ne sommes absolument pas dans un positionnement opportuniste ou intéressé. Nous avons commencé avec une trentaine de femmes, déjà très ouvertes sur le continent, et aujourd’hui nous sommes une centaine. 


Quelles sont les missions de We4She ? 

Notre mission première, c’est d’améliorer la représentativité des femmes à tous les niveaux de l’entreprise. Du conseil d’administration au comité exécutif, en passant par le middle management, bref, toutes les strates de l’organisation. C’est aussi l’objectif numéro 1 du WFC, adossé à l’Africa CEO Forum.
Chez We4She, nous l’avons élargi à une mission complémentaire à forte vocation sociale et solidaire. Pour nous, il est très important de travailler sur l’intégration économique de la femme marocaine. On ne veut pas faire de l’entre-soi, être des femmes faisant du lobbying entre elles, qui se renvoient l’ascenseur social entre elles. On veut un impact à l’échelle du pays. En tant que femmes responsables et dirigeantes, on a le devoir de tendre la main aux autres femmes. Par ailleurs, le Nouveau modèle de développement nous parle particulièrement, et nous voulons y contribuer. 

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Concrètement, comment cela se traduit ? 

En signant plusieurs types de partenariats. Nous ciblons notamment les coopératives, là où les femmes ont besoin d’être accompagnées sur la durée. Par exemple, We4She a conclu un partenariat avec l’association Open Village dédié au développement du milieu rural et le ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale, qui pilote 6000 coopératives féminines. Ces coopératives ont déjà des fonds, nous leur apportons les soft skills : confiance en soi, esprit d’équipe, prise d’initiative, aptitude à prendre la parole, leadership… We4She a aussi signé un partenariat avec Tibu Africa, une association qui oeuvre à la réinsertion des jeunes par le sport, et mine de rien c’est une association qui monte sur le continent.
On a également signé avec l’ONG Inspiring girls, qui encourage l’épanouissement professionnel des jeunes filles. En fait, nous nous sommes aperçues qu’elles avaient besoin de role model, des femmes à qui elles peuvent s’identifier et se dire que c’est possible. Et puis, nous avons aussi un partenariat avec Estem, qui travaille sur l’intégration et le développement économique des jeunes femmes à travers les technologies. 


Et vous vous appuyez sur quels piliers, quels outils ? 

Pour améliorer la représentation féminine dans les entreprises et instaurer l’égalité de genre, il faut déjà obtenir un engagement volontaire au plus haut niveau. Autrement dit : un engagement des dirigeants et des CEO, ça c’est crucial. Alors We4She a lancé la Charte du genre. C’est un outil basé sur quatre axes : la mixité dans le recrutement, l’équité de rémunération, la mixité du management et du comité exécutif et la mixité du conseil d’administration. À ce jour, de nombreuses entreprises marocaines l’ont signée. Parmi elles : Bank Of Africa, CFG Bank, CIH, Maroclear, Managem, Intelcia, mais aussi la CGEM, la fédération des patrons au Maroc. 

"C'est un devoir moral qu'ont les entreprises que d'aider un certain nombre de nos collègues méritantes à franchir le dernier mile en favorisant l'accès aux comités de direction, aux Conseils d'Administration et un jour, pourquoi pas, l'actionnariat", Mohamed Ramses Arroub, Président Directeur Général du Groupe Wafa Assurance#we4she #breaktheglassceiling #weact4impact

Posted by We4She on Monday, May 30, 2022


Quel est la position du Maroc en matière d’intégration des femmes dans le tissu économique ? 

Elle n’est pas bonne. Le Maroc figure parmi les dix derniers du classement, derrière l’Arabie Saoudite, dans le Gender Gap Report 2022 réalisé par le World Economic Forum.
Il y a même un phénomène de déclin de l’activité des femmes : 19,8% des femmes marocaines étaient actives en 2022, contre 30% en 2000. 73,1% des personnes en marge du marché du travail sont des femmes. Enfin, la quasi-totalité des branches économiques présente un écart salarial significatif de l’ordre de 30% en défaveur des femmes.


Vous croyez en l’instauration de quotas ? 

Vous ne croyez pas si bien dire. Récemment, la législation marocaine a instauré des quotas dans les conseils d’administration des sociétés cotées en bourse. Chez We4She, nous voulons surfer sur cette dynamique. Nous croyons à l’effet de ruissellement sur les autres strates de l’organisation et autres types d’entreprises.


Est-ce que cela a fonctionné ailleurs dans le monde ? 

La France a promulgué la loi Copé-Zimmermann qui instaure le quota dans les conseils d’administration et de surveillance, en 2011. Dix ans plus tard et des poussières, le Maroc fait la même chose. Sauf qu’entre-temps, la France a fait le bilan. Dorénavant, il y a 46% de femmes dans les conseils d’administration français, mais le ruissellement n’a pas eu lieu. La preuve : il n’y a que 23% de femmes dans les comités de direction et les comités exécutifs. Résultat ? En 2021, la France a voté la loi Rixain : si les quotas ne sont pas respectés dans les entreprises de plus de 1000 salariés, alors celles-ci seront sanctionnées. C’est exactement ce qu’on souhaite éviter : comme il n’y a pas de progression, alors on installe d’autres quotas. 


Quelle autre méthode prônez-vous ?

La Charte du genre, c’est du soft law. Son but n’est autre que de créer de l’émulation dans l’écosystème des entreprises et produire un effet d’entraînement. Et pour cela, il faut aussi travailler sur les biais inconscients sur le genre, déconstruire les stéréotypes. En fait, c’est ça le vrai chantier. Le 8 mars dernier justement, We4She a lancé une campagne, intitulée Moussawat (égalité au pluriel). Il s’agit de quatre capsules en darija qui pointent du doigt, avec humour et sans stigmatiser les hommes, des situations injustes et absurdes auxquelles les femmes sont souvent confrontées: la maternité, le syndrome de l’imposteur… Vous savez, les grands dirigeants sont déjà acquis à notre cause, on veut donc toucher le grand public. 


En plus de la Charte du genre, disposez-vous d’un autre outil ? 

Oui, plusieurs. Parmi eux, j’aimerais vous parler du sponsorship. Je ne sais pas si vous avez lu le livre Forget a mentor, find a sponsor, écrit par l’économiste américaine Sylvia Ann Hewlett en 2013. En réalité, les femmes sont trois fois plus mentorées que les hommes, mais deux fois moins sponsorisées. Or, un sponsor c’est quelqu’un qui vous ouvre son carnet d’adresse afin de vous accompagner dans votre carrière. Les hommes se renvoient toujours l’ascenseur, pour nous les femmes c’est plus difficile. Nous devons apprendre à le faire. Chez We4She, nous avons un pool de personnes prêt à sponsoriser les membres de l’association, et qui le fait déjà.  


We4She est-elle une réponse féminine aux fameux “boys’ club” ? 

Nous ne voulons surtout pas être un club fermé ou élitiste. We4She, c’est nous pour elle(s). Notre rôle est de mobiliser les femmes et les hommes qui ont le pouvoir de développer la condition des femmes et leur intégration dans l’économie. Nous souhaitons tendre la main aux femmes qui en ont besoin. Et puis, nous sommes aussi ouverts à l’international : We4She Maroc a des antennes à Montréal, Paris, New-York et Londres. 

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Depuis le lancement officiel de We4She, pouvez-vous déjà faire un premier bilan d’étape ? 

Pour l’instant, We4She est encore jeune. Les impacts et les retombées seront visibles dans un temps plus lointain. Faire bouger les lignes, changer les mentalités, apporter des évolutions concrètes, ça peut prendre des décennies.
Malgré tout, nous sommes très fières d’avoir bâti une sororité, un esprit de corps. On veut montrer qu’une femme peut porter d’autres femmes. 

"La sororité est la valeur principale qui m’a attirée dans ce réseau. La mise en avant de l'amour universel et le non jugement", @dina.lahlou, Mental health & Wellbeing expert for organizations et membre de We4She@radia.houari @samira_khamlichi Soumaya Benjelloun @sofiabenbrahim @laurakakon Najwa El Iraki @bouchrakadiri @sanae.lahlou @aalyaghouli

Posted by We4She on Saturday, June 4, 2022


Comment êtes-vous perçues par les dirigeants, notamment les hommes ? 

Notre stratégie, c’est d’aller vers des patrons avertis, des entreprises avant-gardistes, et les patrons de la CGEM qui vont créer de l’émulation. Il suffit qu’1% de la population soit éveillé et convaincu pour susciter le changement dans toute la population. 


Finalement votre meilleur argument n’est-il pas que la croissance et le développement économique d’un pays passe nécessairement par l’intégration des femmes dans le tissu économique ? 

Absolument, c’est le meilleur argument. Il a été démontré à travers tous les rapports internationaux. D’ailleurs les choses bougent. Désormais, le Fonds monétaire international (FMI) ne va plus débloquer de crédits et de financements aux pays qui ne respectent pas l’égalité de genre. Pareil du côté des investisseurs qui ne veulent plus soutenir des projets non durables ou irrespectueux de l’égalité de genre. Nous ne pouvons pas aller contre l’Histoire. 


Quelles sont vos priorités pour les années à venir ?

Viraliser, généraliser la Charte du genre, qui compte déjà une centaine d’entreprises signataires. Instituer un changement des mentalités, notre plus gros combat, transversal et qui passe aussi par l’éducation. Implémenter le sponsorship et favoriser l’intégration économique et l’autonomisation des femmes. 

“Tant qu’on n’aura pas éradiqué la culture patriarcale et révolutionné les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes depuis la cellule familiale en passant par l’espace public pour arriver au milieu professionnel, on ne parviendra pas véritablement à promouvoir la présence des femmes dans tous les espaces de leadership et de management au sein des entreprises", @Leila Rhiwi, représentante d'@onufemmes au Maroc.#we4she #weact4impact #womensupportingwomen #ONUfemmes

Posted by We4She on Friday, June 10, 2022


Votre CV est impressionnant. Vous occupez un poste à très hautes responsabilités, présidez ou co-présidez plusieurs associations nationales et internationales, tout en continuant à vous former au coaching d’équipes par exemple. Vous trouvez même le temps de faire du yoga ! Comment faites-vous ? 

C’est tout ça qui m’aide à rester épanouie dans ce monde où les crises sont inévitables. Dans le monde de l’entreprise, on parle d’un monde VUCA (volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté). Un dirigeant ou une dirigeante ne peut pas juste s’intéresser à son parcours professionnel, avec la tête dans le guidon. Nous avons tout intérêt à avoir un parcours holistique afin d’élargir sa grille de lecture, sa capacité de résilience et de pouvoir apporter sa pierre à l’édifice. Il nous faut une posture “méta”, prendre de la hauteur, travailler sur sa sécurité intérieure. Le plus important, ce n’est pas tant l’accumulation de compétences et la progression professionnelles, c’est plutôt d’apprendre à gérer humainement les membres de l’entreprise et gérer ses émotions. 

Photo (c) : Lamia Merzouki

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