HUMEUR : SUIS MOI JE TE SUIS

Métier consistant à se faire prendre en photo – ou pire se prendre en photo soi-même – les joues serrées entre les dents et les lèvres en cul de poule, être un influenceur est le job de rêve d’une génération qui ne se voit plus travailler (beaucoup) pour quelqu’un d’autre que soi-même. C’est donc une course effrénée vers le succès qui s’engage. Suivre ou être suivi, telle est la question. Car si t’as moins de 5000 followers, tu n’existes pas. Et à moins de 10k tu n’es pas un influenceur, tu es un figurant populaire. La nuance est abyssale. Alors pour passer de l’insignifiance à l’importance, les stratagèmes les plus élaborés sont déployés.

Google – après une rapide recherche « comment gagner des followers » – t’indique même une foule d’articles qui prétendent détenir la méthode magique pour te transformer – toi anonyme adepte du filtre Crema – en véritable influenceur mondial. Hashtags pertinents, followforfollow, bio soignée, et surtout cohérence iconographique et mimétisme du graphisme et du discours. Mêmes attitudes, mêmes photos de poses de yoga en pleine jungle, mêmes captions éreintantes d’hédonisme bienveillant « Gratitude » « Life is amazing », mêmes looks, mêmes formules, à tel point que tous les comptes finissent par se ressembler. A force de vouloir une identité on prend celles des autres.

Certes, on s’en fiche un peu, car il s’agit d’un profil digital. Personne n’a dit qu’IG disait la vérité. Nombre de comptes à succès expliquent d’ailleurs que leurs clichés sont le résultat de mises en scènes laborieuses et que le résultat est biaisé.

Mais à quoi servent donc tous ces followers ? A quoi sert d’avoir une influence digitale ? Gagner de l’argent ? Pas sûr que cela soit l’unique raison d’une foule de jeunes femmes et hommes qui jubilent et célèbrent leur première dizaine de milliers comme s’ils fêtaient leur majorité. Les followers soignent un cruel besoin de reconnaissance. Ce sont des médocs aux émoticons prolixes. Comment pourrais-je le savoir, me direz-vous, moi qui prend mon compte IG pour un profil FB en le verrouillant de partout et n’acceptant personne (« la meuf qui n’a rien compris à IG » m’a-t-on dit un jour) ? Qu’on se rassure, j’ai très bien compris, justement. Le danger de ce réseau est de faire croire, non pas aux followers, mais à soi-même, qu’on a une vie de rêve. Pourtant 200K ne vous réchaufferont pas la nuit. Alors si en plus vous n’avez plus de batterie un soir de déprime pour vous shooter au commentaire complaisant, ça sent l’ambiance joyeuse. On me rétorquera que c’est toujours la même rengaine opposant vie virtuelle et IRL (in real life), mais non, pas vraiment. Car le vice n’est pas d’opposer les deux mais bien de les confondre et de se prendre une sacrée claque lorsqu’après avoir obtenu le Saint Graal – comprenez suffisamment de followers pour se sentir incontournable – seules les notifications d’inconnus font vibrer votre téléphone.

Soraya Tadlaoui

Amoureuse de mode et d’(entre)chats, Soraya Tadlaoui a étudié à Paris la conception rédaction et la danse. Après une première expérience auprès du service de presse de Burberry, elle fait ses armes à la rédaction d’ABCLuxe, au Glamour, en tant que styliste photo auprès du Bureau de Victor agence de photographe, puis à L’Express.fr/Styles. En 2009, elle s’envole pour New York à la poursuite de ses deux passions, avant de tenter l’aventure casablancaise en 2011. Elle intègre alors la rédaction de L’Officiel Maroc. Depuis, professeur de danse, styliste, rédactrice freelance pour différents supports de presse, éditrice de contenus en communication éditoriale et rédactrice web pour le webzine nssnss.ma, elle surfe sur la tendance et sur les petites vagues de Dar Bouazza.

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