NON, LE CAFTAN N’EST PAS HAUTE COUTURE

Forcément, dès le titre, certaines vont s’offusquer pensant qu’il s’agit d’un énième billet dénigrant notre savoir-faire national au profit de la mode contemporaine. Que nenni. Il faut savoir lire, définir chaque terme avant de crier au scandale. C’est ce que devraient également faire nos couturiers avant de s’autoproclamer de « haute couture », labellisant leurs noms au fil d’or. Usurpation d’identité ou ignorance, on ne peut que rire en voyant certains signer d’un luxueux « Haute Couture » un caftan vendu à 2000 dirhams. En plusieurs exemplaires et dans six boutiques, de surcroît.


Au Maroc, on aime bien « Haut » ça fait classe, comme les « hauts responsables » de Valencia. Du coup, les créateurs de caftans se disent qu’un petit « Haute Couture » accolé à leur nom, ça fait toujours plus chic. Après tout, peut-être tiennent-ils l’aiguille en hauteur ? Or c’est non seulement mensonger, mais juridiquement interdit. Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble que nous sommes au Maroc. J’ai vérifié par la fenêtre, on est en plein ramadan. Il est midi, personne ne mange dans la rue. Or, l’appellation haute couture est strictement française.

Une appellation accordée à certaines maisons par décision du ministre en charge de l’Industrie, sur proposition d’une commission de classement animée par la chambre syndicale de la couture. Cette dernière décide de qui la mérite en fonction de critères précis. Le processus est presque aussi compliqué que la légalisation d’un papier, un lundi matin à la moukata3a. Des critères économiques et qualitatifs sont scrutés, des enquêtes et contrôles sont effectués. Chaque saison, les membres permanents présentent le fruit du travail de leurs ateliers. Idem pour les membres correspondants (venus de l’étranger). Les membres « invités » défilent eux sous le label « couture » uniquement, n’ayant pas encore gagné les galons nécessaires. Pourtant chez nous, on s’octroie ce label. Après tout, pourquoi pas ? Sous prétexte que l’on travaille de la couture traditionnelle, avec des techniques ardues et délicates, on se réclame de la haute couture, et sans que personne ne pose de question.

Mais la haute couture, c’est une histoire. On attribue la paternité de la Haute Couture à Charles Frederick Worth qui innove en imaginant le concept de collections. La mise en place en 1868 de la Chambre syndicale de la confection et de la couture pour dames et fillettes destinée à protéger les créations des couturiers qui organise cet écosystème. Cette dernière sera ensuite transformée en Chambre syndicale de la couture en 1911.
Pour se revendiquer haute couture, le travail sur-mesure doit être effectué à la main par un minimum de 20 employés. Ces derniers doivent être divisés en deux ateliers, le flou (les robes) et le tailleur (les vestes), afin de créer au moins 25 modèles qui défilent deux fois par an. Plus récemment, dans les années 1990, les conditions deviennent moins drastiques, pour permettre aux jeunes talents d’émerger.

Au Maroc, la haute couture c’est sans condition particulière, comme les crédits quand on ne lit pas les petits caractères. Tu crées une gandoura dans ta chambre d’amis ? C’est de la haute couture. C’est aussi drôle que désolant. Car les créateurs ne sont pas hiérarchisés, entre les talentueux qui respectent des règles précises, et ceux qui malmènent notre habit d’apparat. On se rajoute des particules pour attirer la cliente, détruisant le caftan au passage. Le réduisant à une espèce de folklore en mélangeant les chiffons et les peaux de chamois. Car puisque le caftan se vend, tout le monde fait du caftan. Et non seulement on s’invente un label de qualité, comme si le Kiri était gastronomique, mais la cliente ne sait plus où donner du portefeuille, entre haute couture et haute couture.

Dommage que le caftan, fleuron de notre patrimoine avec ses propres spécificités techniques, tombe si bas. Pourtant on pourrait prendre un peu de hauteur, en structurant l’offre couture, –donc le sur-mesure et le sur commande–, déjà présente. Si l’industrie s’organisait, établissant un label spécifique à la couture traditionnelle, on pourrait enfin distinguer celles et ceux dont le travail répond aux impératifs de la couture. Histoire que le caftan ne file plus un si mauvais brocart.

Photo ci-dessus, de gauche à droite : Ralph & Russo Haute Couture Printemps-été 2015, Zuhair Murad Haute Couture Automne-hiver 2014-2015, Givenchy Haute Couture Automne-hiver 2010-2011 et Elie Saab Haute Couture Automne-Hiver

Soraya Tadlaoui

Amoureuse de mode et d’(entre)chats, Soraya Tadlaoui a étudié à Paris la conception rédaction et la danse. Après une première expérience auprès du service de presse de Burberry, elle fait ses armes à la rédaction d’ABCLuxe, au Glamour, en tant que styliste photo auprès du Bureau de Victor agence de photographe, puis à L’Express.fr/Styles. En 2009, elle s’envole pour New York à la poursuite de ses deux passions, avant de tenter l’aventure casablancaise en 2011. Elle intègre alors la rédaction de L’Officiel Maroc. Depuis, professeur de danse, styliste, rédactrice freelance pour différents supports de presse, éditrice de contenus en communication éditoriale et rédactrice web pour le webzine nssnss.ma, elle surfe sur la tendance et sur les petites vagues de Dar Bouazza.

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