INTERVIEW : SAMIA AKARIOU, LE VISAGE DERRIÈRE LE SUCCÈS FOU DE DAR NSA

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Dar Nsa, diffusée sur Al Aoula pendant ce mois de ramadan, est devenue un véritable phénomène, en plus d’avoir culminé au top des audiences. Une série à la fois légère et engagée, réalisée et cp-écrite avec brio par l’actrice et réalisatrice Samia Akariou, Nora Skalli et Jawad Lahlou. Shoelifer s’est longuement entretenu avec cette artiste successful, désarmante de fraîcheur et qui n’a pas le melon !

Dix millions. C’est le nombre de téléspectateurs que la série Dar Nsa, diffusée en prime time sur Al Aoula pendant ramadan, est parvenue à rassembler. Un record et un véritable carton, qui se confirme également sur YouTube, puisque les épisodes de Dar Nsa comptabilisent entre 1,2 et 3,4 millions de vues. 

Derrière ce succès, une femme et une équipe de choc. La série a été réalisée par l’actrice et metteure en scène Samia Akariou. Cette dernière a coécrit le scénario avec  l’actrice et scénariste Nora Skalli, sa BFF (best friend forever) et partner in crime, ainsi que le scénariste Jawad Lahlou. Le tout a été produit par Ali n’ Productions, fondée par Nabil Ayouch et dirigée par Amine Benjelloun. Dar Nsa est portée par un casting majoritairement féminin et ultra-propulaire : Meryem Zaïmi, Fatima Zahra Qanboua, Ibtissam Laaroussi. Sans oublier, côté masculin, l’illustre Driss Roukhe, Yassine Ajjaham et Rabii Skalli.

Pour celles et ceux qui seraient passé à côté du phénomène, Dar Nsa c’est d’abord Tanger, la vie de la médina et l’accent chamali. Mais c’est surtout le quotidien d’une maison familiale où la maîtresse de maison, Lalla Amina, héberge (en plus de sa propre famille) une amie ainsi qu’une jeune fille en fuite. Tout le monde semble couler des jours heureux. Pourtant, les personnages cachent de lourds secrets, qui vont finir par remonter à la surface et provoquer de multiples rebondissements. 

La rédac’ ne vous en dit pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir. Néanmoins, sachez que la force de Dar Nsa réside dans sa capacité à aborder des sujets sociétaux encore tabous au Maroc, tels que le trafic de drogue, l’inceste, ou encore les enfants nés hors mariage. Et donne à voir des femmes qui aspirent à être maîtresses de leurs destins, en dépit des obstacles. Le tout sans jugement, ni moralisme ou misérabilisme, avec profondeur et légèreté. Un pari délicat mais réussi. De retour dans sa ville natale de Chefchaouen pour profiter d’un repos en famille bien mérité, la chaleureuse et ultra-spontanée Samia Akariou a pris le temps de répondre aux questions de Shoelifer

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Dar Nsa a été la série ramadanesque numéro 1 au Maroc. Quels sont les secrets de fabrication d’un tel succès populaire ?

La recette du succès, on ne la connaît jamais. Bien sûr, on l’appréhende et on essaye de faire le maximum, mais rien n’est jamais garanti. Vous savez, le timing du ramadan est assez spécial. La tâche est complexe, puisqu’il faut réussir à réunir toute la famille devant l’écran de télévision en prime time. L’équation, c’est un mélange de soap opera, de télénovela, sans négliger le fond ni trop se prendre la tête !

Dans le cas de Dar Nsa, le format était lui aussi difficile et inédit. La série se compose de trente épisodes d’une durée de 52 minutes, ce qui n’existe pas ailleurs. Généralement on privilégie le format de 42 minutes et on prévoit plusieurs saisons. 52 minutes, ça demande un gros travail d’écriture, et ne parlons pas du tournage (rires). Honnêtement, ce qui se joue en amont, c’est la solidité du scénario, sur lequel Nora Skalli, Jawad Lahlou et moi-même avons énormément travaillé. 

De notre côté, nous avons pris l’habitude d’aborder des thématiques sociales fortes et de créer du contenu qui brise certains tabous. Dar Nsa, ce n’est pas juste des histoires de romances et de trahisons. Je crois que notre tour de force, c’est d’avoir su toucher toutes les classes sociales. On espérait un succès mais un tel carton, ça fait vraiment plaisir !


La série Dar Nsa selon Shoelifer c’est un huis clos féminin, à mi-chemin entre l’œuvre du dramaturge Federico Garcia Lorca et les Quatre filles du Docteur March, le roman de Louisa May Alcott. Et selon vous, la réalisatrice ? 

C’est pas mal comme résumé (rires) ! Pour Dar Nsa, j’ai été inspirée par pas mal de choses, en effet. Évidemment, l’influence de Garcia Lorca arrive en tête. Avec la troupe de théâtre Takoun, j’ai déjà monté la pièce Bnat Lalla Mennana en 2005, devenue une série télévisée ensuite, entièrement adaptée de la pièce de Garcia Lorca, intitulée La Casa de Bernarda Alba. 

C’est l’histoire d’une famille très conservatrice au Nord du Maroc, dont la mère devenue chef de famille dirige ses filles d’une main de fer. Le spectacle et la série ont connu un énorme succès et ont même réconcilié le public marocain avec les productions locales. Alors qu’auparavant, il privilégiait les séries égyptiennes, turques et mexicaines. C’est grâce à ce succès que les productions nationales se sont enchainées. 

J’ai également été influencée par Big Little Lies aussi, de Liane Moriarty et David E. Kelley, une série dont le point de départ n’est autre que la sororité féminine. Dans Dar Nsa, cette sororité est aussi un fil conducteur. Je me suis également inspirée du réalisateur mexicain Manolo Caro, j’aime beaucoup son monde. 


Quels messages teniez-vous particulièrement à faire passer dans Dar Nsa

Je voulais d’abord évoquer l’inceste, la pédophilie et le viol des petites filles. Des maux qui rongent pas mal de familles, mais demeurent tabous. Dans Dar Nsa, on raconte l’histoire d’une jeune fille violée par son beau-père. Même si nous savons que dans la réalité, des garçons ont eux aussi vécu la même chose. Nous devions en parler. Ça n’avait jamais été abordé de cette façon, alors qu’on entend énormément de faits divers sur ces sujets ! 

Sauf qu’on ne doit pas le dire, sous prétexte de risquer de déchirer la famille. Au moment où je vous parle, un ami qui appartient au corps sécuritaire m’a appelé pour me remercier d’en avoir parlé à la télévision. C’est une réalité que nous ne devons pas ignorer. Libérer la parole, c’était primordial pour toutes celles et ceux qui ont porté Dar Nsa

Nous avons aussi abordé le sujet des mères célibataires. Dans la série, l’un des personnages est une jeune femme enceinte hors mariage, qui ne veut ni avorter ni se marier. Tout ce qu’elle souhaite, c’est garder son bébé, assumer sa grossesse. C’est uniquement dans l’optique d’offrir un meilleur avenir à son enfant, notamment une existence légale et une identité, qu’elle choisit d’épouser le père. Mais en réalité, elle n’a pas du tout envie de vivre avec ce type qui l’a laissée tomber au premier problème. Et puis on a aussi parlé du trafic de drogue, qui a lieu jusque devant les lycées. 


Dar Nsa semble avoir trouvé un juste équilibre entre le fait d’aborder des tabous sans pour autant choquer le public. Quel est votre secret ?

Vaste question ! Comment parler des choses qui fâchent, qui nous offusquent dans cette société sans pour autant provoquer de réactions violentes ? Bon, qu’on se le dise, Dar Nsa a créé le buzz à gauche et à droite (rires), parce qu’il y a toujours la hchouma et beaucoup d’hypocrisie. Nous, les scénaristes, avons énormément misé sur les dialogues. Le dialecte marocain est hyper riche pour aborder ces sujets de société. Nous y sommes allés piano piano, et puis nous avons mis certains propos dans la bouche de mères et de grand-mères.

Le cinéma a une certaine vocation à provoquer, la télévision non, car elle rentre dans tous les foyers. Il faut y aller avec délicatesse, c’est le fameux concept du tamaghrabit (soft power culturel propre au Maroc). Surtout, il faut parler à tout le monde : l’intello comme celui qui n’a pas pu aller beaucoup à l’école ou celle qui ne pense absolument pas comme vous. Il s’agit de trouver les mots justes. 

Nous ne sommes pas là pour apporter des solutions. Ce que nous souhaitons, c’est libérer la parole et ne plus se voiler la face. Après, chacun est libre de sa réflexion. À ce titre, je salue la chaîne Al Aoula, qui ne nous a jamais censuré. Je crois que finalement nous avons trouvé une bonne recette. Maintenant, on sait où aller. 


Finalement, est ce que le succès de Dar Nsa n’est pas la preuve que l’opinion publique est plus ouverte d’esprit que ce que les responsables politiques veulent bien nous faire croire ? 

Bonne question. Bon, déjà il y a un lien de confiance entre notre équipe et le public qui s’est établi au fil des années. Nous avons  un capital sympathie et un certain crédit de savoir-faire et de sérieux. Il y a des commentaires très agressifs sur les réseaux sociaux. Parfois les internautes s’adressent à nous comme si nous étions des politiciens et des décideurs. Normalement, c’est à ces derniers d’aborder certains sujets de société et d’instaurer des lois pour protéger nos enfants, par exemple. Nous, nous ne faisons que mettre les sujets en lumière.

 

L’artiste est là pour créer, poser des questions et déranger. Si nous ne sommes là que pour faire marrer les gens, et bien on se retrouve avec une étiquette de clown. Maintenant, il faut admettre qu’il y a un vide énorme : nos politiciens et nos intellectuels ont pas mal déserté la zone, par peur de choquer ou de monter les uns contre les autres. Après, sur les sujets abordés dans Dar Nsa, il y a une forme de consensus finalement. Par exemple, la Moudawana, actuellement en cours de réforme, suscite le débat mais in fine les gens savent qu’elle a vocation à protéger, notamment nos enfants. 


Justement, qu’attendez-vous de la révision du Code de la famille ? 

Ma seule réponse, ce sont les enfants nés hors mariages, parfois abandonnés, voire jetés à la poubelle. Il faut régler cette histoire ! J’ai hâte de voir les changements qui vont être apportés, et les lois appliquées surtout ! J’ai énormément d’amies qui attendent la nouvelle Moudawana pour divorcer (rires). Cette réforme est critiquée par les obscurantistes, qui pensent que c’est juste une façon d’autoriser les relations hors mariage ou d’occidentaliser notre société… Mais c’est un texte pour protéger la famille, l’enfant et les femmes. À la fin, quand elle divorce, c’est la femme qui a la charge de ses enfants et qui doit subvenir à leurs besoins. 

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Dar Nsa aborde l’inceste et les violences sexuelles. À l’étranger, le cinéma et la télévision sont secoués par le mouvement #MeToo. En tant qu’actrice et réalisatrice, avez-vous subi des agressions ou des comportements sexistes ?

Vous voulez la vérité ? Moi je vis ma vie d’artiste au Maroc pleinement. J’ai toujours arraché mes droits et je ne me suis jamais mise dans une posture de victime. Ceci dit, je ne blâme personne  et je ne dis pas qu’il n’y a pas de problèmes. 

Maintenant, je vais vous faire une confidence. À la base, je ne veux pas le dire, ni me victimiser et j’essaye de peser mes mots, mais je sais qu’on a dérangé avec Dar Nsa, notamment parce que nous sommes des femmes derrière ce projet. Je n’ai jamais été aussi critiquée qu’avec cette série. Avec mon binôme Nora Skalli, nous avons ressenti un acharnement, voire un lynchage et nous nous sommes demandé si c’était du sexisme. 

Nos homologues masculins, qui ont réalisé des séries auparavant, n’ont jamais été autant attaqués. Même avant la diffusion pendant le ramadan, des articles ont été publiés pour me dénigrer, dire que je n’avais pas réussi à convaincre la chaîne. On a aussi critiqué le fait que ce soit une série avec des femmes, sur les femmes. 


Est-ce que vous vous revendiquez féministe ?

Je ne me suis jamais mise dans un rapport de l’homme contre la femme. J’ai grandi avec mes frères qui m’ont toujours soutenue, aussi bien au niveau moral, intellectuel qu’au niveau de ma liberté personnelle et artistique. Mon combat c’est l’être humain. Comment réussir à vivre dans une société marocaine moderne dans le monde actuel ? J’aspire simplement à une société où il y a de l’égalité et de la justice, de la santé et de l’éducation pour tout le monde !

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Après le carton de Dar Nsa, vous prenez une pause dans votre ville natale, mais avez-vous de nouveaux projets artistiques ?

Oui ! Je suis déjà sur l’écriture d’une nouvelle série depuis le mois d’octobre. Elle s’appelle Charki et Gharbi, sera tournée en mai, puis diffusée sur 2M. Et ensuite, je vais préparer la 3e saison de Bnat Lalla Mennana, dans laquelle je joue en tant qu’actrice. 

Photo (c) : Samia Akariou

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