SÉISME : QUEL IMPACT SUR LE PATRIMOINE MAROCAIN ?

L’heure est à la reconstruction. Le patrimoine marocain rural et monumental a, par endroits, était sévèrement ébranlé. En quoi ces constructions et monuments sont-ils importants dans l’histoire du pays ? Quel pourrait être leur futur ? Décryptage appuyé par Abderrahim Kassou, architecte, anthropologue et secrétaire général de l’association Icomos Maroc

De par sa situation géographique, le Maroc a vu se succéder civilisations, empires et royaumes. De la période phénicienne aux dynasties berbères puis chérifiennes, en passant par l’empire romain, la terre marocaine est riche d’une histoire aux influences éclectiques. Ces influences ont marqué le patrimoine marocain humain et culturel mais aussi architectural, par des constructions organiques, adaptées aux contraintes géographiques et géologiques des populations autochtones. D’où l’importance de le préserver.

Selon Abderrahim Kassou, « au Maroc, la politique de préservation du patrimoine est en place depuis plus d’un siècle. C’est l’expression de notre culture. Une attention particulière est accordée aux monuments, au patrimoine des médinas ainsi qu’à celui de la période islamique ». 

Depuis 1981, sa protection et l’inscription de monuments, sites ou objets dans la liste de ce patrimoine historique et culturel font l’objet d’un travail minutieux de répertoriage, de documentation, de restauration et de promotion de sites considérés d’intérêt. L’article de loi 22-80 donne autorité au ministère de la Culture, de la Jeunesse et de la Communication pour régir ces travaux en collaboration avec des institutions telle que la Fondation Pour la Sauvegarde du Patrimoine Culturel de Rabat ou encore des associations dédiées à la préservation de ce patrimoine. 

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L’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco ou la quête du Graal

La dimension touristique apporte également à ces lieux, classés ou non au patrimoine mondial de l’UNESCO, la possibilité financière d’être régulièrement entretenus et restaurés. Et ce, selon des procédures et critères précis. Le site de l’Unesco précise que les biens proposés doivent avoir « une valeur universelle exceptionnelle et satisfaire à au moins un des dix critères de sélection. ». Parmi lesquels : 

  • Représenter un chef-d’œuvre du génie créateur humain
  • Apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue
  • Offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l’histoire humaine. 

Inscrits ou non, les spécificités des sites endommagés par le séisme convergent bel et bien vers ces critères.


Sur quelle base reconstruire ?

S’il est encore difficile de mesurer l’impact du séisme, deux types de patrimoine ont été affectés. Le patrimoine monumental d’un côté. La Mosquée de Tinmel, se situe près d’Ighil, épicentre du séisme, dans le Haut-Atlas. Ce trésor d’architecture maghrébo-andalou a été construit en hommage à Mehdi Ibn Toumert au XIIe siècle, après la prise de Marrakech en 1147.  Soumise à inscription mondiale en 1995, elle était en cours de restauration lorsque le séisme l’a violemment secouée. 

Selon Abderrahim Kassou, « c’est un monument suffisamment documenté, étudié. Son projet de restauration, porté par le ministère des Habbous et un certain nombre de collègues et confrères compétents en la matière, était arrivé à près de 90% d’avancement des travaux. » Elle est aujourd’hui pratiquement détruite. « La question qui va se poser n’est pas seulement de savoir si on va parvenir à reconstruire les éléments effondrés. C’est surtout sur quelle base allons-nous les reconstruire ? Quel est le niveau d’anti-sismicité que l’on va devoir apporter à des techniques de construction ancienne ? C’est un débat technique et scientifique », souligne l’architecte.

Impactées aussi, les Kasbahs des Goundafas, situées dans le Haut-Atlas, également ancien fief des Almohades et haut lieu stratégique des caïds du Goundafa. Ces derniers contrôlaient la vallée du N’Fiss et le flanc occidental du massif du Toubkal. Parmi elles, deux célèbres constructions : celle de Talat’n’Yaacoub ou de Agadir’n’Gouj. 

Du côté de Ouarzazate, le célèbre Ksar des Aït Ben Haddou, inscrit au patrimoine mondial depuis 1987, a lui aussi subi des dégâts considérables. Là où de nombreuses familles organisaient leur vie quotidienne, des fissures sont apparues sur plusieurs bâtiments. Et le grenier collectif, qui sert aujourd’hui encore, est très endommagé. La liste est encore longue et les premières constations inquiétantes. 

Sans oublier la mosquée Koutoubia, inscrite à l’UNESCO en 1985 et qui demeure un lieu de prière actif. Érigée au XIIe siècle au cœur de la médina marrakchie, elle a été construite deux fois. En 1148 par le sultan almohade Abdelmoumen après la conquête de Marrakech, et vers 1158 après avoir été totalement démolie. C’est Abu Yusuf Ben Tachafin qui finalisera la construction de son minaret en 1195. Lequel minaret, de 77 mètres de hauteur, a été touché par le séisme. 

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Des lieux de vie

L’autre type de patrimoine qui a lourdement été ébranlé, c’est l’habitat. « En particulier l’habitat rural, précise Abderrahim Kassou. Les hameaux, tous ces beaux villages accrochés à la montagne, qui d’ailleurs avaient perdu de leur superbe avec l’introduction du béton. Et surtout, un béton très mal réalisé. Ce patrimoine, quelque part « modeste » mérite en réalité toutes les attentions. Il constitue une très grande part de notre culture et les conséquences du séisme y sont désastreuses, tant sur le plan humain, social qu’architectural ». 

Certains architectes, maîtrisant les techniques de construction vernaculaire, assistent aujourd’hui au pied levé les habitants. Pour Kassou, il s’agirait de reconstruire « avec une approche améliorée des techniques et matériaux traditionnels. » Comme l’adobe, cette brique de terre crue renforcée par de la paille et séchée au soleil. Ou la bauge, qui consiste à empiler de la terre gorgée d’eau afin qu’elle soit la plus élastique possible. Sans oublier le pisé. 

Nombre d’architectes sont en capacité d’utiliser ces techniques, avec une approche innovante pour les rendre plus efficientes et moins chronophages. La transmission du savoir-faire des artisans qui en sont les détenteurs pourrait ainsi être initiée. Ces techniques sont pour la plupart respectueuses de l’environnement et donc parfaitement inscrites dans l’air du temps. Tout en y apportant des dispositifs antisismiques comme cela a été proposé par certains experts.

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Quid de l’histoire ?

Des voix se sont par ailleurs fait entendre, notamment celle de la vice-présidente de l’association Turath, l’historienne Faten Safiedine, plaidant en faveur de l’organisation de fouilles avant de commencer à reconstruire.  « Bien entendu, des fouilles archéologiques sont nécessaires dans plusieurs sites. Malheureusement, il n’y a pas assez de financement pour la recherche scientifique dans le domaine. Et il est malheureux d’envisager des fouilles seulement suite au séisme… », déplore Abderrahim Kassou. 

Si cette catastrophe a détruit matériellement certains témoignages de notre histoire, il ne peut en aucun cas les avoir rayés de notre mémoire collective. Preuve que le patrimoine marocain est bien vivace.  

Photo (c) : AI-Generated Pictures  

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