CES MAROCAINS DU MONDE QUI CARTONNENT : RENCONTRE AVEC BAHIJA JALLAL, CHERCHEUSE EN BIOTECHNOLOGIE

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La réussite de certains Marocains du monde est très médiatisée. Mais Shoelifer, qui vous en présente régulièrement, s’est mis en tête d’aller à la rencontre de personnalités aux parcours souvent hors norme, mais qui ne sont pas –assez– sous le feu des projecteurs. Comme Bahija Jallal. Une Casablancaise à la conquête de la biotechnologie internationale, pionnière de la lutte contre le cancer.

Son nom ne vous dit sans doute rien, et pourtant, il devrait. Du haut de ses 60 ans, la Casablancaise Bahija Jallal a un C.V. absolument… vertigineux (dans le bon sens du terme !). Post-doctorante, chercheuse émérite dans la lutte contre le cancer, membre du conseil d’administration de l’université John Hopkins (dont nous avons tous entendu parler depuis le début de la pandémie) et du comité de direction de l’université du Maryland, ancienne présidente de la plus grosse filiale du groupe pharmaceutique AstraZeneca et désormais DG d’Immunocore, société à la pointe de la biotechnologie dans le monde… vous nous excuserez du peu. Sans parler de la levée, en 2020, de 258 millions de dollars réalisée par la compagnie qu’elle dirige. En sus de ses activités managériales et scientifiques, Bahija Jallal enseigne bénévolement et encourage les jeunes filles à s’intéresser aux disciplines scientifiques à l’école. Pour Shoelifer, elle fait partie de ces Marocains du monde qui sont une véritable fierté (à l’instar de Nacer Benbachir) et qui méritent d’être mis en lumière pour inspirer les jeunes (et moins jeunes) générations. Bien sûr, nous ne nous sommes pas déplacés jusqu’aux États-Unis pour la rencontrer, mais s’entretenir avec elle au téléphone suffit à percevoir la discrétion et l’humilité dont elle fait preuve. Rencontre avec une femme d’exception, au parcours d’exception, qui veut “donner à son pays d’origine” auquel elle reste profondément attachée.


Quel est votre parcours ? 

Je suis née au Maroc, à Casablanca, et j’y ai poursuivi mon cursus scolaire jusqu’au baccalauréat. Ensuite je suis allée poursuivre mes études supérieures à l’étranger : j’ai fait un master et un doctorat en biologie à l’université Paris VII en France, puis un post-doctorat à l’Institut de biochimie Max Plank en Allemagne.  

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Vos sujets de recherche ont toujours été en lien avec le cancer, pourquoi ? 

Oui, je m’intéresse au cancer depuis mes débuts et c’est le secteur dans lequel je travaille encore aujourd’hui. D’un point de vue scientifique j’ai toujours trouvé ce sujet passionnant, et j’ai surtout eu la chance d’intégrer l’Institut Max Plank à une époque où le laboratoire était pionnier dans le domaine de la lutte contre le cancer du sein, car il était un des tous premiers à effectuer des recherches très poussées sur ce qu’on appelle “les thérapies ciblées”. Mais je ne voulais pas seulement faire de la science pour la science : après mon post-doc, je suis donc allée en Californie afin de rejoindre le domaine des biotechnologies et me consacrer aux sciences appliquées. 


Quels ont été les moments importants de votre carrière ? 

J’ai d’abord travaillé une quinzaine d’années pour Sugen (une société américaine de recherche en médicaments, ndlr), puis chez Chiron Corporation (une compagnie de biotechnologie américaine, ndlr). J’ai ensuite passé 13 ans chez MedImmune (laboratoire américain racheté par le groupe AstraZeneca en 2007, ndlr) dont j’ai notamment été présidente (mais aussi vice-présidente exécutive d’AstraZeneca). Là, j’ai eu la chance d’initier de nouvelles thérapies pour le système immunitaire : c’était une véritable révolution en termes de traitement contre le cancer, puisque pour la toute première fois, on découvrait qu’on pouvait véritablement prolonger la vie des gens. Nous avons lancé 5 produits sur le marché, c’était vraiment extraordinaire ! Puis, il y a trois ans, j’ai intégré Immunocore, car j’ai vu qu’ils disposaient d’une technologie qui faisait progresser encore davantage l’immunothérapie. Aujourd’hui, je suis particulièrement heureuse car nous venons de recevoir, il y a tout juste trois semaines, l’autorisation de la FDA (autorité américaine de régulation des médicaments, ndlr) pour commercialiser le tout premier traitement du mélanome de l’œil. Personne n’avait encore trouvé de solution pour traiter ce cancer, malgré des recherches entreprises il y a plus de 40 ans. C’est une maladie très grave, et la chimio ne fonctionne pas : les malades décèdent généralement moins d’un an après leur diagnostic… Que nous y soyons enfin parvenus, c’est une victoire énorme !

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Vous avez passé l’intégralité de votre carrière à l’étranger. Et pourtant, vous avez des liens forts avec le Maroc…

Toute ma famille est au Maroc. Certains de mes frères et sœurs ont fait leurs études à l’étranger, puis y sont retournés. Je n’ai pas pu faire comme eux, puisqu’à l’époque il n’y avait pas de recherche scientifique dans mon domaine. J’ai dû faire un choix : rentrer pour enseigner à la fac ou poursuivre la recherche à l’étranger, et j’ai choisi la deuxième option. Bien sûr, j’ai voulu engager des partenariats avec le Maroc, car je voulais vraiment apporter quelque chose à mon pays, lui rendre ce qu’il m’avait donné. On m’invite partout à travers le monde pour parler de mes activités, et cela me tenait vraiment à cœur de pouvoir le faire aussi au Maroc. J’ai donc approché l’ambassade et le consulat en leur expliquant que je voulais faire du “give back” à mon pays, mais cela n’a pas encore abouti. 


Comment l’expliquez-vous ? 

Quand on passe la majorité de sa vie à l’étranger, on perd les relations avec les universités. J’aimerais proposer mon aide aux Marocains et Marocaines intéressés par mon domaine, et notamment encourager les femmes, comme je le fais aux États-Unis. Mais, je ne connais peut-être pas les bons canaux… 


Qu’en est-il de l’état de la recherche scientifique dans la lutte contre le cancer au Maroc, selon vous ?   

Je crois que l’on pourrait faire beaucoup plus. Les universités marocaines produisent énormément d’étudiants brillants. Je le sais moi-même puisque j’ai étudié au Maroc. Au lycée, on ne leur parle malheureusement pas de toutes les possibilités qui s’offrent à eux, des différents types de recherches qui existent. Pour ma part, je ne savais même pas que cela existait. Or, il faut commencer très tôt pour intéresser les jeunes. J’étais très fière du Maroc et de sa gestion de la crise du Covid-19, cela prouve que l’on est capable de faire beaucoup de choses. Il faut cependant que le pays profite aussi des Marocains du monde qui peuvent peut-être aider à faire avancer les choses. 

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Aux États-Unis vous encouragez les femmes et les filles à persévérer dans leurs études et à se lancer dans des carrières scientifiques. 

Oui, je vais dans les collèges pour parler aux jeunes filles et leur expliquer que les mathématiques et les sciences peuvent être “sexy” car on constate un véritable désintérêt de la gent féminine pour ces matières. On en fait aussi venir chez nous pour leur parler des différentes carrières et leur montrer que les femmes aussi font de la recherche. J’aimerais que des initiatives comme celles-ci puissent exister au Maroc.  

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Comment cela s’est-il passé pour vous, en tant que femme, dans votre jeunesse ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ? 

Je sais que le Maroc a beaucoup évolué ces dernières années et j’applaudis les jeunes femmes d’aujourd’hui, qui se battent pour leur indépendance. Pour ma part, c’était une période plus compliquée. J’ai une histoire assez classique : j’ai perdu mon père à 9 ans et ma mère a dû s’occuper de sept enfants dont cinq filles ! C’était une femme vraiment remarquable, car toutes les conditions étaient réunies pour que nous ne réussissions pas, mais elle nous a toujours poussés à étudier, à aller plus loin, alors qu’elle n’avait pas étudié elle-même. Du côté de la société, il n’y avait rien pour nous encourager : on nous disait qu’on allait finir nos études, passer notre bac puis nous marier et que ça s’arrêterait là. Mais ma mère était totalement opposée à cette idée. Lorsque j’ai voulu rentrer au Maroc, au cours de mes études, c’est elle qui refusait et qui me disait de continuer à avancer et à me battre. Donc, comme elle l’a fait pour nous, je veux dire à toutes les Marocaines qu’elles sont capables et que tout est possible. 

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