FÉMINISME : LE CLASH DES GÉNÉRATIONS AURA-T-IL LIEU ?

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À l’occasion de la journée du 8 mars, Shoelifer a une histoire très personnelle à vous raconter sur le féminisme. Il y a même une petite morale à la fin. Il était une fois… 

Cette fable à propos du féminisme démarre un froid matin de février. Ma BFF m’avait entraînée un peu malgré moi dans une “matinée coworking” organisée par l’association de femmes entrepreneures dont elle fait partie. Le lieu était dans la pure tradition bobo, le café du jus de chaussettes et les viennoiseries à la margarine : autrement dit, RAS. Et là, alors que tout le monde papotait dans un joyeux brouhaha, une femme a innocemment demandé  : “Alors les filles, qu’est-ce qu’on fait le 8 mars ?”. Petit reminder : le 8 mars est la journée internationale des droits des femmes, de l’égalité et de la justice. Son histoire et ses origines sont d’ailleurs très bien racontées sur le site des Nations-Unies. 


Le choc des Titans 

Ben oui quoi ? Resto, happy hour, chippendales, qu’on rigole deux minutes ?”, ai-je bêtement pensé en mon for intérieur visiblement dénué de conscience féministe. Une petite facétie que j’ai bien fait de garder pour moi, car cette question en apparence anodine sur le 8 mars a généré un véritable clash. Que dis-je : un choc des titans. En matière de féminisme, les médias parlent régulièrement du “choc des générations”. Celui des féministes de la deuxième vague (fin des années 1960) et des féministes de la troisième vague (1990 à aujourd’hui). Ou plus prosaïquement : les Boomeuses versus les Millenials. 



Vous êtes largués ? Rappelez vous de la lettre ouverte de Catherine Deneuve, qui défendait la “liberté d’importuner” après la vague Me Too et l’affaire Harvey Weinstein, en 2018. Selon elle, et des milliers d’autres femmes de sa génération, il ne fallait pas tomber dans la haine des hommes, le puritanisme, la dénonciation calomnieuse. 




50 nuances de féminisme ?

Mais revenons à cette innocente question sur la journée du 8 mars. Elle n’a pas simplement révélé des antagonismes entre femmes n’ayant pas grandi à la même époque. Et donc fait face à des enjeux différents. Non, elle a surtout montré qu’il y a autant de féminismes que de femmes sur cette planète. Au cours de cette matinée de coworking, nous étions vingt-cinq et aucune d’entre nous n’a dit la même chose. Sandrine*, 55 ans, brillante consultante en fin de carrière, a dénoncé une “journée alibi” et une “récupération marketing”. Sandrine n’a pas tort. Un jour, j’ai reçu l’invitation par texto d’un resto casablancais qui avait cru bon organiser une soirée spéciale 8 mars en invitant les danseurs de Ricky Martin. Preuve à l’appui : 

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Puis Martine nous a placé son petit couplet sur l’égalité salariale. Et la place des seniors en entreprise. “Déjà on est des femmes alors si en plus on est vieilles !”. Avant de faire un parallèle douteux entre la journée internationale de la femme du 8 mars et celle du saucisson le 28 mars. Propos adoubés par la plupart des femmes de son âge. 


Du féminisme intersectionnel à la culture du viol 

Sabrina,  42 ans, chef de projet, mariée et mère de deux enfants, a estimé que toutes les occasions étaient bonnes à prendre pour sensibiliser le monde au féminisme. Karine, documentariste, 60 ans, deux fois grand-mère, a fait part de sa difficulté, plus jeune, à développer la fameuse fibre maternelle. Et appelé à banaliser le désir de “non-enfant” pour “les suivantes”, à en finir avec cette pression sociale sur nos utérus. Sarah, 38 ans, a raconté son mariage avec un mari violent et son divorce qui l’a laissée sans toit ni ressources. Ibtissam, 30 ans, startupeuse, en couple avec une femme,  a  expliqué qu’elle aimait offrir une rose à sa moitié ce jour-là, sans plus. Sarah, 40  ans, célibataire qui bosse dans la tech, a réfuté catégoriquement le mot féminisme, “trop connoté”, “clivant” et “has been”. Nour, 27 ans, a parlé du féminisme intersectionnel, de la jonction des luttes contre le sexisme et le racisme. Avant de lancer une pique à Elisabeth Badinter qui prône un féminisme “blanc-triarcal” selon elle. Inès, 33 ans, est revenue sur la construction sociale du genre, les droits des Queers et a abondamment cité Judith Butler.

Sandrine, 50 ans, maîtresse reiki, a affirmé qu’elle pouvait guérir le cancer avec ses dons de magnétisme (Ok, ça va trop loin). Et moi, j’ai conspué le patriarcat, le capitalisme et la colonisation (autant vous dire que ça a moyennement convaincu mon auditoire). Puis j’ai parlé de la culture du viol (universelle pour le coup) et du fait qu’au Maroc, les victimes se muraient encore et toujours dans le silence. 

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Interrogations existentielles 

L’échange était passionnant et passionné. Empreint de sororité. Néanmoins, je me suis quand même demandé où allait le féminisme ? Comment concilier les générations, les communautés et les individualités ? Parce que franchement, ça part tous azimuts.  J’ai eu envie d’appeler une figure du féminisme au Maroc. L’illustre Aïcha Sakhri, co-fondatrice de Femmes du Maroc, fondatrice et directrice de la rédaction du magazine Illi, désormais présentatrice de l’émission féministe Horrates sur M24. 

Primo, elle m’a gentiment remis les pendules à l’heure. Ok, la libération de la parole c’est génial, mais Me Too n’a pas inventé le féminisme. D’ailleurs, le terme existait déjà au Moyen-âge


Une épopée des femmes et du féminisme ?

Le mouvement féministe a toujours fonctionné par vagues. À chaque fois, on a l’impression d’apprendre le féminisme, mais il y a eu des luttes en amont qui nous ont permis de nous approprier la liberté, de continuer à progresser. C’est grâce à ces luttes que nous avons des acquis : le droit d’aller à l’école, de voter, de travailler, d’avoir un compte bancaire, de divorcer, la contraception…”, rappelle-t-elle. “Des droits qui peuvent très vite disparaître”, insiste Aïcha Sakhri (cf. l’avortement aux Etats-Unis). Morale de l’histoire : au lieu de se tirer dans les pattes, on devrait peut-être songer à écrire la grande épopée du féminisme, des femmes, de leurs droits et de l’égalité. 

Un peu comme on fabrique des encyclopédies. “Il faudrait enseigner cette histoire afin qu’elle soit transmise de génération en génération”. Et ne jamais oublier à quel point nous les femmes, quelle que soit l’époque, sommes interdépendantes. Amen, et joyeux 8 mars ! 

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