FASHION 2023 : JUSQU’OÙ LE PHÉNOMÈNE DES COLLABS MODE IRA-T-IL ? (1/2)

fashion 2023

Que nous réserve la fashion 2023 ? À l’aube de cette nouvelle année, Shoelifer interroge l’évolution des codes du luxe. On commence cette série en deux épisodes par le phénomène des fameuses collaborations entre marques. Simple tendance ou future norme ? Nous avons posé la question à trois experts de la mode.

Balenciaga x Adidas, Burberry x Supreme, Nike x Jacquemus, Dior x Birkenstock, Maison Margiela x Reebok ou encore Fendace (contraction des marques Fendi et Versace)… Décidément, 2022 aura connu son lot de collabs entre marques et maisons de mode. Sans compter celles avec des artistes ou des influenceurs, qui prolifèrent elles aussi. La collaboration est-elle l’avenir de la fashion 2023 ? En tout cas, force est de constater que ce phénomène n’a de cesse de s’amplifier au fil des années. Et ce ne sont pas les consommateurs, toujours plus avides de nouveautés, qui s’en plaindront. Alors, la mode du XXIe siècle tend-t-elle à devenir exclusivement collaborative ? Le marketing l’emportera-t-il sur la créativité ? Et qu’est-ce que ce phénomène dit des potentialités de développement de l’industrie de la fashion 2023 ? Shoelifer a posé ces questions à trois professionnels de la mode.


Un peu d’histoire

Parmi les collaborations qui ont marqué les esprits et l’histoire de la mode contemporaine, Louis Vuitton et Supreme est sans doute l’une de plus mémorable. C’était en 2017 et Kim Jones, était alors directeur artistique des collections homme de la maison française.  En pleine Fashion Week parisienne, il avait dévoilé sa collaboration avec la marque new-yorkaise undergound. Une rencontre entre le luxe et le street-wear qui allait créer le buzz et déchirer les critiques, mais aussi déchaîner les consommateurs. Cinq ans plus tard, la hype qui auréole ce partenariat créatif est loin de s’être essoufflée. Pour preuve, on peut désormais acheter des habits Louis Vuitton x Supreme aux ventes aux enchères, comme ce hoodie emblématique rouge estampillé d’un monogramme blanc, estimé entre 4000 et 6000 $ par Sotheby’s. Mais comme le rappelle Adrian Kammarti, doctorant et assistant-professeur en Histoire et théorie de la mode à l’Institut français de la mode à Paris, ce phénomène ne date pas d’hier. En réalité, « il faut remonter au début du XXe siècle pour voir apparaitre les premières formes de collaborations, qui ont d’abord vu s’associer des couturiers et des artistes. » Par exemple, Elsa Schiaparelli travaille avec Dali, Man Ray ou encore Giacometti dès les années 1930. Tandis qu’Hermès donne à réinventer son emblématique carré à la créatrice Lola Prusac en 1937. Si une collaboration se définit comme « une co-création dans laquelle deux parties sont impliquées », ces dernières revêtent plusieurs formes : marques et artistes, marques et designers, marques et influenceurs et même les marques entre elles… Mais pourquoi ces dernières se sont-elles alliées dans leur processus créatif ?

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Des intérêts marketings partagés

Sans pouvoir dater précisément le phénomène des partenariats entre marques, les professionnels s’accordent sur le fait  qu’il n’a eu de cesse de s’intensifier depuis le début des années 2000. Et devrait donc se poursuivre à l’ère de la fashion 2023. Ce que les marques y trouvent ? Avant tout un intérêt de renforcement mutuel. Une marque va surtout chercher à collaborer avec celle d’un autre secteur afin d’attirer une nouvelle clientèle. Pour reprendre l’exemple cité plus haut, Louis Vuitton a pu se positionner sur le segment street-wear en s’associant à Supreme. Et cette dernière a pu se départir de son étiquette underground pour accéder à une certaine notoriété chez la clientèle du luxe. Laurence Benaïm, journaliste spécialiste de la mode, y voit d’ailleurs la recherche d’un avantage marketing plus que d’un avantage marchand. « C’est avant tout un intérêt médiatique qui va servir à certaines marques à sortir de l’isolement, tandis que les autres vont s’offrir une nouvelle jeunesse. ». D’où le nombre croissant de collaborations entre maisons de mode et… marques de street-wear, sans doute ? En 2022, à cinq mois d’écart seulement, Adidas a ainsi collaboré avec Gucci puis avec Balenciaga. Plutôt que de parler d’un phénomène d’« urbanisation » des grandes maisons, Adrian Kammarti préfère employer le terme de « démocratisation symbolique » car les prix, eux, restent inchangés. « L’idée c’est avant tout de devenir une marque culturelle, qui soit reconnaissable par tous, même par ceux qui ne sont pas en capacité d’acheter les produits. »


De nouvelles potentialités créatives 

Pour Pascal Morand, économiste et président de la Fédération française de la haute couture et de la mode (FHCM), il s’agit aussi d’étendre le champ des possibles. « Brouiller les pistes, faire de la disruption créative… Les directeurs artistiques veulent tenter de nouvelles expériences et les collaborations ne sont pas systématiquement le fruit du choix des CEO ou des directeurs marketing ». Pour lui, collaborer ou non va surtout dépendre de l’identité de la marque. Certaines vont cultiver une certaine retenue (comme Hermès qui, loin de ces problématiques, a fini par collaborer avec Apple). D’autres vont collaborer tous azimuts, quitte parfois à se perdre. Collaborer comporterait-il des risques ? Au vu de la récente polémique autour des propos antisémites de Kanye West, qui a forcé Adidas à mettre un terme à son partenariat avec le rappeur, on peut penser que oui. « Tout l’enjeu consiste à trouver son équilibre », résume le président de la FHCM. Pour lui, il n’y a d’ailleurs pas de véritable étanchéité dans la mode, « lorsqu’une marque est positionnée dans le luxe, elle ne va pas forcément chercher à y rester. » 

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Une industrie de la fashion 2023 en perpétuelle redéfinition

Mais pour Pascal Morand, ce qui rend avant tout cette frénésie de nouvelles collabs possible, réside dans le fait qu’un nouveau rythme permettant de synergies de communication, a émergé. Exit le calendrier traditionnel où deux grandes collections voyaient le jour chaque année. Place à la multiplication de drop, de collabs et de collections capsules qui permettent de rythmer la vie des maisons entre les différentes collections. « On quitte l’agenda habituel pour l’étoffer avec des événements qui viennent casser le rythme du marché. Ces nouvelles opportunités de création, de commerce et de communication (les 3C), reposent en réalité sur un quatrième C, qu’est la coordination. » Ce sont donc les nouvelles capacités organisationnelles de l’industrie qui permettent aux marques de gérer autant de projets à la fois et d’événementialiser leur offre. Mais face à une telle effervescence, le consommateur ne risque-t-il pas de finir par se lasser ? Et à force de systématiser la collaboration, les marques ne finiront-elles pas par avoir toutes collaboré entre elles ? Pour Laurence Benaïm, « une vraie lassitude s’installe car on a l’impression que les marques ne fonctionnent désormais que par deux, ce qui vient les fragiliser au lieu de les renforcer. Il y a un vrai problème au niveau de la définition même de la « collaboration », puisque cette dernière est censée avant tout être une rencontre et non pas quelque chose de systémique. » En attendant, des rumeurs selon lesquelles Supreme et Louis Vuitton sortiraient prochainement une nouvelle collab’ se propagent. La mode, un éternel recommencement dites-vous ?

Photo (c) : Shoelifer

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