FESTIVAL DE CANNES 2022 : RENCONTRE AVEC MARYAM TOUZANI, LA RÉALISATRICE DU BLEU DU CAFTAN

maryam touzani

La réalisatrice Maryam Touzani vient de s’illustrer pour la deuxième fois au Festival de Cannes où son film Le Bleu du Caftan a remporté le Prix de la Critique internationale. Shoelifer a assisté à la projection. Rencontre avec une cinéaste qui aime l’humain.

Cannes, le 27 mai 2022. Il est 15 heures, nous avons rendez-vous avec Maryam Touzani au lendemain de la projection de son film, Le Bleu du Caftan. La réalisatrice arrive. Elle ne le sait pas encore, mais il va remporter, quelques heures plus tard, le Prix de la critique du Festival de Cannes, attribué par la Fédération internationale de la presse cinématographique (FIPRESCI). Elle est fatiguée. Elle n’a pas eu le temps de souffler. Elle enchaîne les interviews, les rencontres et les rendez-vous. Elle est fatiguée, mais heureuse.  On la sent encore très émue. Il y a encore sur son visage ce sourire de gratitude qu’elle avait la veille à  la fin de la projection. “Quand la lumière est revenue, nous confie-t-elle, j’étais très reconnaissante. Le film venait de rencontrer son public”. Et la rencontre fut belle : 10 minutes de standing ovation, des larmes qui coulaient sur la plupart des joues, une émotion palpable dans ce Palais des Festivals. Le Bleu du Caftan, c’est le deuxième long métrage de la réalisatrice, et sa deuxième sélection cannoise dans la section Un certain regard. Et ce n’est pas un hasard. Maryam Touzani trace sa route avec intelligence, détermination, et une sacrée dose de sensibilité. 

Adam, son premier long métrage, racontait l’histoire de Samia. Enceinte de neuf mois, elle a dû fuir son village et  se retrouve à frapper à la porte d’Abla, une veuve à la vie austère qui commence par la chasser avant de se résoudre à l’accueillir. Dans Le Bleu du Caftan, elle raconte un couple hors norme, un couple qui s’aime follement : Halim et Mina. Ils sont mariés, mais ils portent un secret. Halim est homosexuel. Il est réduit à vivre ses désirs dans l’obscurité d’un hammam derrière des portes closes.

maryam touzani

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En plein coeur

On pourrait dire de Maryam Touzani qu’elle est une réalisatrice engagée, qu’elle est militante, qu’elle choisit des sujets sociétaux. Ce n’est pas faux. Mais ce serait tellement réducteur. Militante ? La réalisatrice l’est assurément. Mais elle l’est de la plus subtile des manières. De la plus douce aussi.  Elle ne brandit aucun étendard. Elle nous bouleverse. Elle ne lève pas le poing. Elle nous émeut. Elle nous touche en plein cœur. Elle filme avec bienveillance ses personnages, assignés au silence. Elle constate que souvent les personnages qui la touchent sont “ceux qu’on n’entend pas, qu’on ne voit pas”, alors elle veut “raconter leurs histoires”. Et c’est ce qu’elle fait, elle raconte des histoires. Elle les fait entendre, les montre, ces repris de justesse, ces fêlés, que la société oblige à se cacher. Et aussi ceux qui les protègent, ceux qui savent faire preuve d’empathie, de bienveillance et de douceur, ces héros anonymes. 

Dans Adam, elle met  ainsi en scène une veuve au visage fermé et au quotidien strict (interprétée par Lubna Azabal) qui se transcende et accepte de recueillir une jeune femme enceinte, future mère célibataire et déjà paria d’une société liberticide.  Maryam Touzani filme donc ce qu’elle appelle “les petites luttes du quotidien”, elle admire la force de ses personnages, c’est cet héroïsme-là qu’elle veut mettre en lumière. 

En montrant le réel, elle reste fidèle à la gamine tangéroise qu’elle a été. Adolescente passionnée de littérature qui sentait que sa vie dans une bulle manquait de contact avec le réel. Elle se plongeait donc dans les livres, pas pour s’évader, mais pour mieux comprendre l’humain. Parce qu’il est là, son seul moteur : Maryam Touzani aime l’humain. Elle aime les êtres. Elle veut les raconter. Et elle le fait avec beaucoup de délicatesse. 

Sa première claque de réalisme ? Le film Ali Zaoua.  À l’époque, elle ne retient même pas le nom du réalisateur… À l’époque, elle est loin d’imaginer que Nabil Ayouch deviendra son amoureux, son partenaire.  À l’époque, elle est frappée par cette prise de conscience qui s’empare d’elle. 

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“Ce film est un film d’amour”

Avant que la projection ne commence, Maryam Touzani a prévenu le public : “Ce film est un film d’amour”. Et effectivement, il ne s’agit que de ça, d’amour. 

Halim aime sa femme. Il l’aime profondément, il l’aime tendrement. Et Mina (Lubna Azabal, encore) l’aime tout autant. Alors, par amour, elle va l’accepter, elle va lui permettre d’être heureux. D’être libre. Par amour elle va se dépasser, se transcender. Elle va aller au-delà. Au-delà de ses convictions, de ses peurs et des carcans. Par amour, elle va défaire son couple. Pour mieux le refaire. Elle va réinventer le couple. Elle fait « un cadeau de vie”, comme le dit si justement Maryam Touzani. Elle lui offre la possibilité d’être heureux, d’être lui. Pleinement. Quant à lui, il traitera sa femme en majesté jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle, jusqu’à sa dernière demeure. 

C’est l’histoire assez ordinaire d’un amour hors norme. Et c’est ce qui tient le plus à cœur de la réalisatrice, raconter ces personnes ordinaires qui font des choses incroyables. Ces gens qui n’ont peut-être rien de particulier, mais qui changent la vie. 

Le Bleu du Caftan est enfin un film sur la transmission. Et ici, la transmission se fait dans une chambre sans berceau. Sans filiation. Il s’agit de la transmission des traditions, d’un savoir-faire complexe. La réalisatrice, avec ce film, rend un bel hommage au travail précieux des artisans, gardiens de traditions qui se perdent.  On peut même dire que Le Bleu du Caftan est une allégorie de la disparition de beaucoup de nos savoir-faire, que nous n’avons pas su inventorier et préserver. 

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Maryam Touzani avait à cœur de rendre hommage à ces métiers d’art qui sont constitutifs de notre identité nationale et de notre mémoire collective. Car, aussi loin qu’elle se souvienne, elle a été fascinée par un caftan de sa mère. “Enfant, je me suis imaginée femme dans ce caftan. J’imaginais ma mère jeune”. Il n’était pas bleu, mais noir et brodé au fil d’or. Et elle a monté les marches du Festival de Cannes en l’arborant. “Un beau trajet émotionnel” comme elle dit dans un sourire.

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