ON A INTERVIEWÉ ABIGAIL ASSOR, L’AUTEURE DU LIVRE AUSSI RICHE QUE LE ROI

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Après avoir écrit des contes et de la poésie, Abigail Assor s’est lancée dans un projet de roman. Un pari réussi, puisqu’à 30 ans à peine, son roman Aussi riche que le roi vient d’être publié chez Gallimard. L’auteure casablancaise s’est prêtée au jeu de l’interview pour Shoelifer. Elle nous parle de son rapport à l’écriture, au Maroc, et de son roman, qui est déjà un must read.


Les histoires d’amour finissent mal, en général. Ou du moins celles qui tentent d’unir deux mondes irréconciliables. Dans le premier roman d’Abigail Assor, c’est celui d’une jeune française vivant dans les Carrières Centrales de Hay Hassani, et celui d’un jeune héritier, Driss, pétri de conventions sociales, qui se confrontent. Elle rêve d’ailleurs plus flamboyants, il est si riche qu’on le dit “aussi riche que le roi”. Elle jette son dévolu sur Driss, qui, pense-t-elle, pourra la sauver. Dans sa course incessante pour s’extraire de son milieu, la jeune femme nous entraîne des villas des beaux quartiers casablancais à ses bidonvilles, en passant par ses cafés, ses laiteries, son lycée français et les lieux fréquentés par la jeunesse dorée des années 90. Avec pour toile de fond les années de plomb, le roman nous plonge dans un récit haletant où Casablanca la tentaculaire se révèle tantôt broyeuse de rêves, tantôt monde de tous les possibles. Depuis le carré téléphonique d’un TGV français, Abigail Assor a répondu à nos questions. Rencontre avec une jeune auteure qui pourrait bien incarner la relève de la littérature marocaine.


1/ D’où venez-vous ?

Je suis née à Casablanca, j’y ai grandi. J’ai quitté le Maroc après mon bac pour faire une prépa littéraire en France, puis des études de sociologie à Londres. Juste après, je me suis engagée dans l’écriture. C’est une énergie que je porte en moi depuis longtemps. J’ai donc écrit plusieurs histoires, que j’ai menées à bout, ou que je n’ai pas encore finies. Et ce livre est l’une d’entre elles.


2/ Parlez-nous de votre processus d’écriture

Je suis très inspirée par les images. Dès que je regarde une photo, par exemple, ça travaille mon imagination. Petit à petit, à partir des images, je crée des personnages auxquels je m’attache, puis que je fais évoluer. Ensuite, j’alterne entre phases d’imagination et d’écriture.


3/ Et pour Aussi riche que le roi ?

L’écriture a été assez rapide puisque cela m’a pris un an. C’était une écriture très agréable, qui m’a donné beaucoup de joie. J’ai par exemple beaucoup aimé me promener dans les rues de Casablanca à travers l’écriture, étant donné que ce n’est pas quelque chose que j’ai pu faire étant enfant et adolescente, lorsque j’y habitais. Pour moi cela a été une forme de réhabilitation, car j’ai pu traverser la ville, m’y promener à travers les mots.


4/ Avez-vous passé du temps sur place?

Je ne suis allée au Maroc que deux ou trois fois cette année-là. Au Maroc, j’ai toujours été en observation, tandis que la phase d’écriture s’est faite en France. Lorsque je suis venue à Casablanca, je me suis promenée dans Hay Mohammadi. Bien évidemment, le quartier ne ressemble plus à celui dont je parle dans le livre, puisque les Carrières Centrales ont été rasées en 2016.


4/ Vous parlez d’une époque que vous avez très peu connue : le Maroc des années 90. Comment vous y êtes-vous plongée ?

En effet, je suis née en 90 donc j’étais très jeune au moment où se déroule l’intrigue. J’ai donc fait beaucoup de recherches. J’ai regardé de nombreuses photos de cette époque : des photos de membres de ma famille et de leurs amis. J’ai aussi écouté beaucoup de récits de personnes qui ont vécu ces années-là. Le Maroc est un pays qui marque beaucoup les gens. Même ceux qui l’ont quitté ont des souvenirs très vifs et très nostalgiques. Donc ces échanges ont vraiment été fertiles pour moi. Et pour comprendre les années de plomb, je me suis bien évidemment plongée dans les livres d’histoire.


5/ Les personnages que vous décrivez semblent très proches des jeunes Marocains. Y a-t-il une part autobiographique dans cet ouvrage ?

Je n’espère pas (rires). En tout cas, je n’ai rien à voir avec Sarah, je suis beaucoup plus proche du personnage de Driss, que ce soit d’un point de vue social ou de celui de la personnalité. Ce qui vient véritablement de mon expérience, ce sont les sensations visuelles, les physiques des personnages ou encore les intérieurs des maisons… mais cela n’a absolument rien à voir avec ma vie.


6/ Saviez-vous que vous vouliez écrire sur cette rencontre entre deux mondes radicalement opposés ? Sur cette “lutte des classes” marocaine ?

Je ne le savais pas forcément. Je voulais avant tout écrire sur Casablanca. Et c’est difficile d’écrire sur cette ville en ignorant ce propos. D’ailleurs, j’ai constaté que ma conscience du rapport entre dominants et dominés s’est surtout développée lorsque j’ai quitté le Maroc. Car lorsqu’on évolue dans une situation injuste, mais banalisée, c’est difficile de se rendre compte de ce qui ne va pas. C’est en prenant du recul, en m’installant ailleurs, que j’ai réalisé l’ampleur de la violence des rapports sociaux.


7/ On sent une forme d’amour-haine pour la ville de Casablanca dans votre roman. C’est comme ça que vous l’avez vécu ?

Je dirais plutôt que j’ai un rapport “doux-amer” au Maroc. C’est un pays qui a fait des avancées en matière de droits des femmes et de droits sociaux, et en même temps il est à la traîne sur ces mêmes sujets. On sent qu’il a une volonté d’avancer et une forme de conservatisme qui le retient. Mais c’est difficile de ne pas aimer ce pays quand on y a déjà mis les pieds. J’aime y être, mais je ne peux pas fermer les yeux sur ce qui ne fonctionne pas.


8/ Vos coups de cœur littéraires de l’année passée ?

J’ai adoré un livre de Maurice Pons, dont on ne parle pas beaucoup, les Saisons. C’est sans doute le style d’écriture vers lequel je voudrais tendre, celui qui m’inspire le plus. C’est une histoire assez rocambolesque, qui est à la lisière du conte, le tout porté par une écriture extrêmement précise. J’adore aussi tous les livres d’Alessandro Baricco. Pour entrer dans son œuvre, je conseille de lire Soie. Et je me réjouis bien évidemment de lire le prochain livre de Tahar Benjelloun, Le miel et l’amertume, que j’attends avec impatience.


9/ Et en ce moment que faites-vous ? Êtes-vous de nouveau plongée dans l’écriture ou vous accordez-vous une pause ?

J’écris mon second roman. Mais je ne peux pas vous en dire plus pour le moment, c’est confidentiel. Comme dit Leïla Slimani, “il faut écrire dans la clandestinité”. Je suis son conseil

Photo(c)F.Mantovani;

Par Anaïs FA.

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