CES MAROCAINS DU MONDE QUI CARTONNENT : RENCONTRE AVEC NAÏLA HAMAYED TAZI, ÉVALUATRICE CHEZ GIVAUDAN

marocains du monde

La réussite de certains Marocains du monde est très médiatisée. Mais Shoelifer, qui vous en présente régulièrement, s’est mis en tête d’aller à la rencontre de personnalités aux parcours souvent hors norme, mais qui, selon nous, ne sont pas –assez– sous le feu des projecteurs. Comme Naïla Hamayed Tazi. Une Casablancaise éprise des odeurs depuis sa tendre enfance, qui a fait carrière chez Givaudan, numéro un mondial de l’industrie de la parfumerie.  

Passionnée, Naïla Hamayed Tazi l’est assurément. À l’écouter raconter son histoire, il semble n’y avoir qu’un pas entre les bancs du Lycée Lyautey de Casablanca et le siège de Givaudan, entreprise leader dans la création de parfums et d’arômes à travers le monde, à Paris. Elle y travaille depuis plus de 20 ans et dirige deux équipes dans le secteur de la parfumerie de luxe. Ce qu’elle y fait ? Évaluatrice. En clair ? Si vous avez déjà porté un parfum Saint-Laurent, Armani, L’Artisan Parfumeur ou encore Paco Rabanne, il est sans doute d’abord passé entre ses mains (ou plutôt sous ses narines). Pourtant, le chemin était loin d’être tout tracé pour cette Casablancaise que ses parents destinaient à une carrière d’ingénieure.  Naïla Hamayed Tazi a préféré écouter le choix de son cœur : ce qui a demandé de la détermination, du travail, et de la persévérance… Après les Marocains du monde Nacer Benbachir ou Bahija Jallal, elle se confie à Shoelifer, raconte son parcours et prodigue ses conseils aux jeunes générations.


Avez-vous toujours été intéressée par les parfums ? 

J’ai toujours été très attirée par les odeurs. Depuis toute petite, j’ai été bercée par le matériel odorant marocain et mon père, qui travaillait dans l’aviation, était féru de parfums. Il en ramenait à chaque fois qu’il rentrait de voyage. Le parfum a donc toujours été très proche de moi, très présent dans mon quotidien.


Quel est votre parcours ? 

Je suis née et j’ai grandi au Maroc, à Casablanca, où je suis restée jusqu’au baccalauréat. En classe de 3e, j’avais lu un article dans le magazine L’Étudiant sur une école à Versailles, qui préparait aux métiers autour de la parfumerie : l’ISICPA (Institut supérieur international de la parfumerie, cosmétique et aromatique alimentaire). J’ai tout de suite su que c’était cette formation que je voulais suivre, sans rien savoir de plus sur les métiers propres à la création de parfum. Je savais seulement qu’il me fallait faire un DEUG à dominante chimie : c’est donc ce que j’ai fait, bien que je déteste la chimie (rires). 

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Vous avez donc réussi à intégrer l’ISICPA ? 

Pas du premier coup, car pour l’intégrer il fallait trouver une alternance, et comme je ne connaissais personne dans le domaine de la parfumerie qui était à l’époque un milieu très petit et taiseux, je n’avais pas pu rejoindre la formation bien que j’ai réussi le concours. L’année suivante je m’y suis prise un peu mieux, j’ai repassé le concours et j’ai décroché une alternance dans une entreprise de création de parfums. 


À quoi vous destinait cette formation ? 

Elle ne nous destine pas à un métier en particulier mais je dirais plutôt qu’elle nous ouvre des voies menant à différentes professions dans la création de parfums. On y apprend les bases, ensuite, à nous de choisir la direction que nous souhaitons prendre. Le principal avantage de cette formation est de permettre aux étudiants d’avoir un pied dans l’univers professionnel du parfum, grâce à son système d’apprentissage en alternance. C’est essentiel, car ce sont des métiers qui s’apprennent sur le tas.  

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Vers quel métier vous êtes-vous dirigée ? 

J’ai tout de suite eu envie d’être dans ce qu’on appelle “l’évaluation”. Être évaluateur consiste à aider le parfumeur, “le nez”, à affiner, peaufiner, dessiner son parfum, en fonction des desiderata du client. On peut faire un parallèle avec la cuisine : le chef étoilé qui prépare les plats est assisté d’un second, à qui il va les faire goûter. Pour ma part, à défaut de goûter, je sens. Toute la journée, je sens et je critique (rires). Mais je critique en faisant, bien entendu, abstraction totale de mes goûts personnels. Je commente pour faire réajuster en permanence le jus, selon ce que je sais des désirs de mon client. Chaque évaluateur a la responsabilité d’un compte client propre dont il doit maitriser parfaitement le portfolio olfactif, l’histoire et l’ADN de la marque, les goûts du consommateur final, etc. Je suis donc l’interface entre le client et le parfumeur. 


Pouvez-vous nous donner un exemple concret ? 

Je peux par exemple dire au “nez” : “fais-moi une figue rôtie au miel avec glace à la vanille”. Je vais ensuite sentir sa formule puis commenter : “elle n’est pas assez rôtie”, ou “je ne sens pas assez le miel”, ou encore “et si on ajoutait un tour de moulin de poivre Sichuan pour faire ressortir la verdure de la figue” ? C’est un échange permanent, un véritable ping-pong créatif entre le parfumeur et l’évaluateur. 


Quelles sont les qualités propres à un évaluateur ? 

Il faut avoir une grande maitrise technique, une très bonne connaissance de son portefeuille client. Mais aussi faire preuve de sensibilité et d’intelligence émotionnelle, pour pouvoir développer une relation de totale confiance avec le parfumeur afin qu’il puisse recevoir le commentaire sans le percevoir comme une critique. Il faut aussi apprendre à transmettre ses émotions, car la parfumerie n’a pas de vocabulaire propre, c’est avec le temps qu’on développe une grammaire commune. 


Comment avez-vous intégré Givaudan? 

Après la fin de mon cursus de deux ans, j’ai continué à travailler deux ans au sein de la même entreprise, Charabot, une très belle maison de Grasse spécialisée dans la création de parfums. Puis Givaudan m’a appelée et lorsque le numéro un de la parfumerie vous appelle, vous ne pouvez pas refuser. Cela fait aujourd’hui plus de 20 ans que j’y travaille. J’ai gravi les échelons petit à petit et j’occupe désormais le poste de CFTD (Creatrive fragrance team director) : je dirige deux équipes d’évaluateurs sur deux comptes prestige que sont L’Oréal (YSL, Armani, Lancôme…) et Puig (Paco Rabanne, Jean Paul-Gaultier, Carolina Herrera, L’Artisan Parfumeur…). 


Quel est votre lien avec le Maroc ? Aimeriez-vous y travailler ?   

Je suis très attachée au Maroc, j’y ai toute ma famille, mes amis, et pas un jour ne passe sans que je ne revendique ma marocanité. Chez Givaudan, nous utilisons bien sur des ingrédients naturels, et nous en avons donc beaucoup de très beaux qui viennent du Maroc tels que le cèdre de l’Atlas, la fleur d’oranger ou encore la menthe. Mais y travailler, ce n’est pas possible vu mon métier. Nous ne travaillons que pour de grands groupes internationaux –qui sont très peu nombreux–, nous n’irions jamais travailler pour un petit créateur qui vient de s’installer à Marrakech… D’ailleurs, je voudrais dire un grand merci à mon mari,. La tentation de rentrer au Maroc a toujours été grande, comme pour nombre de Marocains du monde, mais il a accepté que nous restions en France pour que je puisse vivre ma passion : c’est une très belle preuve d’amour. 

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Vous êtes très attachée au Maroc, comment pourriez-vous “give back” à votre pays d’origine ? 

Vu la difficulté que j’ai eu, en venant du Maroc, à trouver un contrat d’apprentissage, je me fais fort de rester disponible afin d’aider les jeunes talents qui sont désireux d’en apprendre plus sur l’univers du parfum. C’est avec plaisir que je le ferais pour tout marocain qui voudrait découvrir cet univers très riche et passionnant. 


Ce qui est surprenant dans votre parcours, c’est de constater la détermination dont vous faites preuve. Quel est votre conseil pour les jeunes générations ? 

Je pense qu’avant toute chose il faut tout essayer, il faut se donner les moyens. Il ne faudrait surtout pas arriver à un moment de sa vie, se retourner, et se dire “j’aurais dû”. Je préfère plutôt me dire “j’ai essayé et ça n’a pas marché”. J’aime beaucoup ce que dit Samuel Beckett : “Ratez, ratez encore, mais ratez mieux !”. Surtout, il faut toujours se donner la possibilité d’y croire. Je viens du Maroc, alors certes j’ai grandi dans une famille aisée et j’étais une très bonne élève, mais en réalité à mon époque, nous étions beaucoup moins connectés qu’aujourd’hui. En dehors des odeurs qui me faisaient chavirer, j’étais très loin du monde du parfum et pourtant j’ai réussi malgré tout à intégrer cet univers. Il faut y croire, rester ouvert et ne pas hésiter à poser des questions. Pour l’anecdote, j’ai intégré le monde du parfum grâce à mon ophtalmologue ! 

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C’est-à-dire ? 

Lors d’une consultation en France, mon ophtalmologue m’a dit que je lui faisais penser à une de ses clientes qui travaillait chez L’Oréal. Quelques mois plus tard, alors que je cherchais une alternance pour pouvoir rentrer à l’ISICPA, je me suis souvenue de ce qu’il m’avait dit et m’armant de ma plus belle plume, je lui ai écrit une lettre. Un jour, en rentrant de la fac, j’ai trouvé un message sur mon répondeur dans lequel il me suggérait d’appeler une de ses connaissances, connaissance qui m’a elle-même recommandé d’appeler quelqu’un d’autre… et c’est grâce à ce monsieur, avec lequel je suis restée en contact pendant des années sans jamais le rencontrer, que j’ai pu entrer en alternance chez Charabot. Que pouvait-il se passer ? Au pire, mon ophtalmologue n’aurait jamais lu ma lettre, au mieux, je fais aujourd’hui mon métier-passion ! 

 

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