MATERNITÉ: LE NON-DÉSIR D’ENFANT, LA FIN D’UN TABOU?

maternité

Une femme se réalise-t-elle en mettant un enfant au monde ? C’est la question à un million de dollars. Longtemps, la réponse a semblé évidente. Aujourd’hui, si des voix divergentes se font entendre, le sujet reste souvent difficile à aborder, comme en témoignent ces femmes qui ne veulent pas d’enfants ou qui regrettent d’en avoir fait… Myriam Kettani, docteur en psychologie du développement, analyse pourquoi le non-désir de maternité est encore un tabou. 

Comme l’explique Myriam Kettani, le stéréotype concernant la maternité qui reste aujourd’hui le plus ancré est que tomber enceinte, et donc enfanter, est “un moment merveilleux”. En réalité, la maternité est un moment difficile qui va “entrainer une crise développementale et remettre en question plusieurs dimensions et relations chez les parents.” Elle ajoute que cela “demande du temps avant de revenir à un équilibre, et ça se construit.” Du coup, donner naissance étant un acte si chamboulant, certaines femmes souhaitent l’éviter à tout prix ou viennent à le regretter. Deux tabous qui sont encore aujourd’hui très mal perçus dans la société. Qu’elles ne souhaitent pas avoir d’enfants ou regrettent tout simplement d’en avoir eu, Shoelifer a voulu donner la parole à ces femmes pour qui la maternité est loin d’être une évidence. Témoignages.


Tabou n°1 : Je ne veux pas d’enfants 

 “Je ne me suis jamais posé la question de savoir si je voulais un enfant ou non. Je n’ai jamais ressenti de désir maternel” explique simplement Zineb*. “Mais la question s’est posée quand je me suis mariée car mon ex-mari, lui, en voulait, et que son besoin est devenu de plus en plus pressant. C’est là que ça a commencé à me travailler, j’en faisais même des cauchemars la nuit. À la même période, alors que j’avais environ 34 ans, j’ai commencé à avoir des soucis gynécologiques” se souvient cette professionnelle de la communication qui en a aujourd’hui 45. “J’ai appris plus tard que c’était une ménopause précoce. Les médecins et mes proches m’ont mis la pression : il fallait que j’essaie à tout prix d’avoir un enfant avant que cela ne soit trop tard. Presque malgré moi, je me suis retrouvée embarquée, pendant deux ans, dans un traitement pour la fertilité. J’étais suivie par un médecin en Espagne, qui m’a prescrit des comprimés qui m’ont rendue malade et qui n’ont absolument pas arrangé mes soucis de santé. À chaque fois que j’avais mes règles, j’étais heureuse au fond de moi, mais je ne pouvais le partager avec personne. Mon gynécologue m’a finalement annoncé que j’étais stérile : j’étais tellement heureuse ! C’était la fin de ce calvaire, on ne pouvait plus rien me reprocher ! Malheureusement, mon couple a commencé à battre de l’aile, et après avoir essayé de sauver les meubles, nous nous sommes séparés.”


“En réalité, les raisons sont multiples”


L’avis du Dr. Kettani : Le corps et l’esprit sont extrêmement liés. Pour pouvoir porter un enfant, il faut que le corps et l’esprit soient alignés dans ce même désir. On voit régulièrement ce genre de situations, des femmes qui ont du mal à tomber enceintes ou qui vont multiplier les fausses couches. Il existe en effet des femmes pour lesquelles l’idée d’avoir un enfant est extrêmement anxiogène. C’est souvent lié à la représentation qu’elles ont de la maternité. Parce que leur rapport à leur propre mère a été compliqué, qu’elles ont peur de ne pas savoir élever un enfant “de la bonne façon”, ou encore qu’elles ressentent un besoin irrésistible de rester libre… En réalité, les raisons sont multiples. D’ailleurs, des femmes viennent parfois en consultation pour essayer de comprendre les origines ou les raisons de ce non-désir. C’est une chose de ne pas vouloir d’enfants, mais encore faut-il comprendre pourquoi. Car cela peut être source de culpabilité pour certaines. Il existe même des cas de femmes qui ne veulent pas d’enfants mais qui, une fois qu’elles ont réglé ce nœud avec elle-même, vont se mettre à envisager la maternité pour la première fois de leur vie: ce sont des choses qui arrivent. D’autres au contraire, ont besoin de comprendre pour pouvoir ensuite assumer leur refus face à leurs proches.

Il faut également ajouter que le non-désir d’enfant va beaucoup dépendre du statut social de la femme. Les femmes des campagnes ou des classes les plus pauvres et les moins éduquées continuent à être dans une représentation traditionnelle de la femme. Tandis que chez les femmes les plus instruites, on constate de plus en plus, ces dernières années au Maroc, un rejet du modèle du mariage ou de la maternité. 

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Comment on accompagne ces femmes ? L’accompagnement consiste à permettre aux patients de se réaliser eux-même dans la façon dont ils se conçoivent, à être en alignement avec eux-mêmes. C’est une façon de leur permettre d’assumer leur choix, de façon intelligente, au sein de la société. Dans le cas des femmes qui refusent la maternité, il est très important de les aider à accueillir leur non-désir. Elles doivent en prendre conscience pour pouvoir l’assumer pleinement. 

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Tabou n°2 : Je regrette d’avoir enfanté 

 “C’est la plus grande erreur de ma vie. Si c’était à refaire, je ne le referai pas. Je ne me ferai pas avoir” affirme Salwa*. Cette architecte de 46 ans qui travaille entre Rabat et Casablanca a deux enfants de 18 et 24 ans, et parfois, elle aimerait pouvoir remonter le temps. “Mon problème, c’est que je les ai eu trop jeune. Mon mari avait une dizaine d’années de plus que moi, il voulait absolument des enfants et j’ai accepté par amour, sans trop réfléchir. Je ne réalisais pas ce que cela impliquait en termes de responsabilité, ni que la maternité allait me voler ma jeunesse.” La déclaration peut sembler choquante, pourtant elle résonne comme un cri du cœur à l’autre bout du téléphone. “Attendez, ne vous méprenez pas, j’aime mes enfants de tout mon cœur, mais j’ai perdu ma vie en devenant mère, car j’ai dû mettre la mienne au service de la leur.” 

 

L’avis du Dr. Kettani : Dans le cas des mères qui regrettent d’avoir enfanté, il faut distinguer deux cas de figure : celles qui regrettent dans les premiers mois suivant leur accouchement, et celles qui regrettent plus tardivement, souvent aux alentours de la quarantaine, alors que leurs enfants sont déjà grands. Dans le premier cas, il convient d’abord de souligner qu’il est tout à fait normal pour une jeune maman, et plus particulièrement dans le cas d’un premier enfant, d’avoir des idées négatives pendant les premiers mois qui vont suivre la naissance. Parfois les mères culpabilisent de ne plus en pouvoir, d’en avoir marre de leur enfant ou même d’avoir des pulsions agressives envers lui, mais c’est tout à fait logique que ce soit difficile, au point qu’on puisse le regretter. Ces émotions ne sont en aucun cas inadaptées. 

Dans le deuxième cas, comme celui de votre témoignage, il faut noter qu’au Maroc, on encourage encore les femmes à se marier assez jeune et à avoir des enfants relativement tôt. Il y’a donc une véritable pression encourageant le mariage et maternité, qui peut devenir problématique pour les jeunes femmes. Ces dernières peuvent être amenées à prendre des décisions à la hâte, sans forcément être prêtes ou avoir accompli tout ce qu’elles avaient à accomplir en tant que jeune adulte (socialement, psychologiquement ou professionnellement). En réalité, leur identité d’adulte n’est pas encore suffisamment construite au moment où elles enfantent. Autour de la quarantaine, on observe souvent comme un “retour”, une sorte de réactivation de tout ce qui n’a pas été accompli, qui va se traduire parfois par des regrets d’avoir mis au monde.

Comment on les accompagne ? Dans notre parcours, nous avons des choses à accomplir à chaque période de développement et il est important de le faire à ce moment précis. Lorsqu’elles ne sont pas réalisées, elles vont revenir, ou se manifester à une autre période de développement, plus tardive. Quand c’est le cas, cela vient créer un déséquilibre : par exemple des femmes qui seront désynchronisées avec leur mari. Cela fait naître un besoin qui n’a pas été assouvi et qu’on ne peut plus faire taire. Il est donc très important de permettre aux femmes d’accueillir ces parties d’elles-mêmes et de les accepter, de laisser exprimer ces nouveaux besoins et désirs. Il faut leur permettre de communiquer autour afin de se libérer de ces nœuds. Il faut aussi accompagner les nouvelles mamans afin de leur permettre d’organiser des moments à elles qui vont leur permettre de se reconnecter avec leur identité de femme (souvent mise de côté au profit de l’identité de mère). C’est une chose que le mari ou les proches peuvent les inciter à faire. On note d’ailleurs que plus une mère a de soutien autour d’elle, moins le risque de dépression après la naissance est élevé.

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Tabous autour de la maternité : des spécificités marocaines ? 

Au Maroc, le Dr. Kettani déplore qu’il n’existe pas de véritable programme de préparation à la naissance, permettant d’éduquer les parents afin qu’ils soient prêts à accueillir leur enfant et à s’épanouir dans leur parentalité. Or enfanter entraîne “un remaniement identitaire” qui nécessite d’être bien accompagné. Ce manque de préparation est notamment lié à l’évolution socio-historique de la société : “Il y a encore quelques dizaines d’années, nous étions dans une culture plus collectiviste, dans laquelle les mères étaient encadrées par les femmes de leur propre famille ou de leur communauté, aujourd’hui ce n’est plus le cas.” 

Pourtant, le rôle de la femme est encore vu à travers un prisme très traditionnel : “le rôle de la femme est d’enfanter, de perpétuer le nom du père et de la lignée” rappelle le Dr Kettani. Une Marocaine qui n’enfante pas perd ainsi symboliquement son statut de femme. Les jeunes filles sont encore formatées, dès l’enfance, par leur fonction procréative. Voilà qui n’incite pas les voix divergentes à s’exprimer et permet à de nombreux tabous autour de la maternité de subsister. 

*Les prénoms ont été modifiés. 

Merci au Dr. Myriam Kettani
Psychologue clinicienne – Psychoéducatrice
Docteur en psychologie du développement et fondatrice du Centre MyPsy à Casablanca.
+212 (0) 6 43 55 03 44

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