PHÉNOMÈNE 2.0 : LA VIE “RÊVÉE” DES TRADWIVES

Antiféministes par excellence, les tradwives prônent un retour aux valeurs traditionnelles, avec un tropisme pour l’esthétique des fifties. Mais ces néo-femmes au foyer font aussi de la promo pour les ultra-conservateurs. 

Se soumettre à son mari comme dans les années 1950, c’est le credo des tradwives. Le terme ne vous dit rien ? Pourtant cette tendance née aux Etats-Unis cumule plus de 541 millions de vues sur TikTok. Fruit de la contraction entre “traditionnal” (traditionnel) et “wife” (épouse), ce phénomène prône un retour strict à un mode de vie traditionnel. La femme gère uniquement son foyer (et ses enfants), pendant que l’homme part travailler afin de subvenir aux besoins de la famille. Dans les faits, c’est un modèle comme un autre, qui prédomine (ou existe) encore dans de très nombreuses sociétés. Il n’y a absolument rien d’anormal à être femme au foyer, temporairement ou continuellement. Et surtout, de s’y épanouir pleinement. 

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Submissive woman 

Or, les tradwives vont beaucoup plus loin. Elles prêchent généralement un discours ultra-conservateur et réactionnaire, truffé de bonnes vieilles valeurs patriarcales. Et où l’assignation genrée des rôles est la règle numéro 1. L’homme est le “leader”, le “chef de famille”; la femme est la “suiveuse”.

Être une tradwife, c’est revendiquer être une “submissive wife” : une femme soumise. Comme le résume très bien l’américaine Estée Williams, la chef de file des tradwives sur instagram :Les désirs de mon mari passent avant les miens”. Sauf qu’un tel état d’esprit peut nous emmener très loin : culture du viol, emprise, domination. Nous ne sommes pas en train de parler de chouchouter sa moitié, d’être attentive à son bien-être, mais bel et bien de domination ! 

Ainsi, Estée Williams –qui porte uniquement des robes de pin-up–, rejette le monde du travail, la contraception, l’avortement et l’indépendance financière. L’indépendance tout court puisqu’elle ne va même pas à la salle de sport  sans son cher et tendre et ne sort plus de sa maison à la nuit tombée. Son rôle ? S’occuper de son foyer, être coquette quoi qu’il arrive, et attendre lascivement son mari.

 

Nota Bene : Estée Williams ment puisque le contenu qu’elle poste sur les réseaux sociaux génère des revenus et qu’il s’agit donc d’une activité professionnelle à part entière. 


L’idéalisation des années 1950 

Toutes les tradwives ne s’habillent pas en robes vintage des années 1950, mais cette décade représente leur idéal, un âge d’or. D’ailleurs, il n’y a pas qu’elles qui fantasment sur les fifties. Par exemple, la performeuse J-Lo a elle-même réalisé un clip inspiré (en partie) des années 1950. À la différence qu’il s’agissait d’un hymne féministe. 

Pourquoi une telle nostalgie ? L’esthétique d’abord : silhouettes de pin-up, couleurs pop et acidulées… Bref, c’est la fin de la guerre, l’époque est joyeuse, résolument plus féminine aussi. Même si un bon nombre de femmes de l’époque s’ennuyaient à en mourir, selon la journaliste Betty Friedan dans La femme mystifiée (1963). Et passaient totalement à côté de leurs potentialités, physiques et/ou intellectuelles.

C’était, semble-t-il, une époque moins compliquée aussi, car chacun restait à sa place dans un rôle bien défini. Oui, mais à quel prix pour les femmes ? Celui de leur émancipation et de leur intégrité psychique et physique. 

Par ailleurs, la tendance tradwives étant née aux États-Unis, faut-il rappeler que la ségrégation entre Noirs et Blancs faisait loi dans les années 1950 ? Ou encore que la force de travail du pays était en grande partie portée par des femmes blanches gavées de médicaments pour tenir le coup (anti-douleurs, anti-dépresseurs) et de femmes noires exploitées ? Ce n’est pas la rédac’ qui le dit, c’est une femme au foyer (également auteure) qui l’explique à merveille. 

@domesticblisters

Reply to @stepfordintexas no hate to original poster. This is a critique about an idea not an attack on a person #strugglecare #mentalhealth #1950shousewife #tradwife

♬ original sound – Kc Davis

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Une tendance esthétique ultra-politique

​​Cet âge d’or des tradwives n’a donc jamais existé. Mais cette petite musique intitulée “c’était mieux avant” se joue actuellement un peu partout dans le monde. Eric Zemmour, en France, qui déplore une “féminisation de la société”, prône un retour de “l’homme à poigne”, estimant que la place d’une femme est au foyer. Au Maroc, alors qu’une seconde réforme du Code de la famille est en cours, c’est Abdelilah Benkirane, ex-chef du gouvernement, qui pense que donner plus de droits aux femmes est une “menace”pour l’équilibre de la société. Les tradwives ne représentent donc qu’une des nombreuses nébuleuses, au même titre que les masculinistes & co, de l’ultra-conservatisme. Le tout mâtiné de discours religieux réactionnaires.

La preuve : au départ, les tradwives n’étaient qu’un épiphénomène sur la plateforme Reddit (l’antre du mal, LOL), en 2013. Ce n’est qu’après l’élection de Donald Trump (campé à droite toute), en 2016, que les tradwives ont pris de l’ampleur. Elles se sont même appropriées le slogan de campagne de Trump “Make America Great Again” pour le transformer en “Make Traditional Housewife Great Again”. C’est aussi cette année-là que le blog Darling Academy, créé par l’autre star des tradwives, Alena Kate Pettettit, a connu un succès fulgurant. Sauf que depuis, la jeune femme dénonce les dérives de cette tendance, et estime même qu’elle est devenue “un monstre”. En fait, les tradwives épousent les valeurs de l’ultra-droite américaine et du mouvement évangéliste. D’ailleurs, elles représentent l’une des bases électorales de Donald Trump, en lice pour tenter d’effectuer un second mandat en tant que président. 


Backlash et faillite d’un système ? 

Le phénomène tradwives s’est encore amplifié après le mouvement #MeeToo, en 2017, puis la pandémie de Covid-19. Bien sûr, cette tendance est l’un des nombreux backlash conservateurs et masculinistes à l’encontre du mouvement féministe global. Dans toute l’histoire du féminisme –qui a démarré aux alentours de 1850–, chaque avancée, chaque progrès vers l’égalité, la justice, a provoqué un retour de bâton. 

Mais puisque les tradwives sont aussi des femmes, peut-être qu’il faut tenter de voir un peu plus loin que ses convictions personnelles. D’accord, elles prônent un discours conservateur. Mais est-ce qu’elles ne pointent pas également du doigt les faillites d’un système ? 

@salomesaque

Attention, je ne cherche pas du tout à défendre le mouvement « #tradwife » ici, mais à essayer de comprendre les conditions de sa naissance. À mes yeux la solution n’est pas de se replier sur le couple et de renoncer à son indépendance financière, mais de créer une société qui permette RÉELLEMENT aux femmes de choisir entre travail et foyer (ou de faire les deux à temps partiel d’ailleurs). Le problème des femmes au foyer n’est évidemment pas qu’elles choisissent ce style de vie (qui mérite le même respect et la même considération que le choix de vie des femmes qui travaillent), non, le problème c’est que les femmes au foyer sont encore trop souvent dans une situation de dépendance financière à leur conjoint, ce qui rend une potentielle séparation parfois impossible. Or cela est particulièrement dangereux en cas de violences conjugales (244 000 femmes victimes de violences conjugales chaque année en France) et/ou de violences psychologiques (1 femme/4 dit en avoir déjà subi au sein du couple). Cela est également problématique même sans violences dans le cas où elles ne sont tout simplement plus amoureuses, voudraient partir et ne le peuvent pas. Le combat féministe à mener à mes yeux aujourd’hui consiste donc à : 1. offrir des conditions de travail dignes à toutes et des salaires égaux à ceux des hommes 2. Permettre aux femmes au foyer de toucher une compensation financière pour leur travail (car oui, ce qu’elles font est bien du travail) 3. Faire en sorte que les hommes assument enfin la moitié des tâches ménagères et de la charge mentale ! #feminism #femme #housewife

♬ son original – Salomé Saqué

Partout dans le monde, les femmes sont les premières victimes de la pauvreté, de la précarité, du stress et des frustrations liées au monde du travail. Et de toutes les formes de pressions sociales possibles et imaginables. Le phénomène tradwives est peut-être (aussi) une réponse à tout celà, puisqu’elles choisissent le “confort” de leur foyer à un monde du travail jugé trop violent. 

Photo (c) : Vogue

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