L’AMOUR AU TEMPS DES LOVE COACHS

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 Sur Internet, les coachs en relations amoureuses pullulent et ciblent en premier lieu les femmes. En apparence, ils prônent l’amour de soi et l’épanouissement personnel. En réalité, ils tombent souvent dans les clichés et flirtent avec la misogynie.

Montre moi ton feed Instagram et je te dirais qui tu es. Sans vouloir balancer, à la rédac’ il y a clairement des célibataires en détresse à en croire nos comptes insta envahis par les conseils des love coachs. Ou, pour le dire en français, des experts en relations amoureuses. Si, si, ça existe, car c’est bien connu, l’amour c’est à peu près pareil que le management ou les ressources humaines. Parmi les plus en vue, citons @conquisemaispasacquise (72,4K abonnés), qui se dit “coach holistique en amour”. Sa promesse : sortir des schémas répétitifs et “s’aimer pour aimer sans s’abîmer” (snif, on en aurait la larme à l’oeil).  Il y a aussi @Lily, conseillère sentimentale et love coach, qui s’engage carrément à trouver “l’homme de votre vie”. Ou encore l’illustre Yann Piette (114 K), qui consacre sa vie et son œuvre à expliquer le fonctionnement des mâles aux femmes. 


Les vertiges de l’amour 

Depuis le début des années 2000, on a tendance à se faire coacher pour tout et n’importe quoi. On vous épargne le topo sur la montée de l’individualisme (et du narcissisme) dans nos sociétés postmodernes favorisant la quête d’épanouissement personnel. Parmi les concepts que la post-modernité a chamboulé : le couple, l’amour, le mariage, qui interrogent bon nombre d’entre nous. Preuve en est avec une étude réalisée par les Nations-Unies en 2016, qui a démontré que partout dans le monde, les gens se mariaient plus tard que dans les années 1980 : 23 ans pour les femmes et 26 ans pour les hommes. Soit +4 ans en moyenne pour les deux sexes en Europe et aux Etats-Unis, +2 ans en Afrique, et + 1 an en Asie et en Amérique latine. 

Trouver sa moitié, construire une relation saine et durable, semble être de plus en plus compliqué. C’est là que les love coachs, aidés par l’essor des réseaux sociaux, entrent en jeu. Nota bene : ce n’est pas une profession réglementée et tout le monde peut s’improviser coach en relations amoureuses. 

Ces coachs s’inscrivent dans la grande tendance du développement personnel. Or, ce concept n’est pas tiré de la psychologie ni même du mouvement hippie des années 1970, mais du New Age. Et le New Age qu’est ce que c’est ? Un courant spirituel occidental des XXe et XXIe siècles. Lui-même très inspiré du spiritisme, né aux Etats-Unis autour des années 1850, mêlant magie, ésotérisme et sciences occultes. Évidemment, tout n’est pas à jeter, mais il est important de garder un esprit critique. 

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Scoop : Jennifer Aniston a eu un love coach 

Depuis quelques années, certains love coachs sont devenus de véritables stars. Aux États-Unis, il y a notamment Sandra Harmon. En 2014, Jennifer Aniston a fait appel à ses services pour que son fiancé de l’époque, Justin Theroux, surmonte sa “peur de l’engagement”. L’actrice est célibataire depuis 2017 (hasard ou coïncidence).
En France, il y a l’inénarrable Alexandre Cormont, dont les vidéos sur YouTube comptabilisent entre 500 000 et 1 million de vues. Il se présente comme coach et “conférencier dans le domaine des relations amoureuses, de la vie de couple et de la reconquête”. La majeure partie du temps, il s’adresse à un public féminin et promet de nous transformer en “femme à succès”. Parmi les thématiques de ses vidéos : comment manquer à un homme, que faire pour susciter son intérêt, comment le faire revenir. Vous l’aurez compris, le mâle est LE centre du monde. Pour l’empowerment féminin, on repassera. 

L’Hexagone compte aussi Lucie Mariotti, love coach de deux émissions de télé-réalité, La villa des cœurs brisés et Les princesses et les princes de l’amour. On doit admettre que la rédac’ a un petit faible pour elle, car Lucie Mariotti emprunte véritablement à la psychologie et à la sophrologie. On vous le disait, tout n’est pas à jeter. Et qu’il n’y a aucun mal à s’éduquer à l’amour de soi, des autres et aux relations interpersonnelles. Mais aussi à faire la différence entre l’amour et la dépendance affective. Ou tout simplement à se reconnecter avec ses désirs et ses aspirations profondes. 

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Love coachs pour les femmes, experts en séduction pour les hommes 

Pour autant, le “genrisme” et la misogynie n’épargne pas les love coachs. Ainsi, du côté des hommes, on préfère le terme de “coach en séduction”. Car les hommes font tomber les filles mais n’ont pas de cœur, c’est bien connu. Citons par exemple Mike “le dragueur de Paris”, le héros des incels (involuntary celibacy) qui prône le retour des “vrais hommes”. 

Quand on y regarde de plus près, ces coachs sont en réalité des influenceurs masculinistes, qui apprennent aux hommes à devenir des “mâles alpha”. La figure de proue de cette tendance ? Andrew Tate, ex-champion du monde de kickboxing, et fondateur de la “Hustlers Academy” qui transforme ses abonnés en hommes “riches, puissants et séduisants”. À la tête de 4,7 millions d’abonnés sur Instagram, Tate a profité de sa notoriété pour étaler sa culture du viol et sa misogynie crasse. Fin décembre 2022, il a été arrêté en Roumanie pour “viol” et “trafic d’êtres humains”. La postérité se souviendra du mémorable camouflet sur Twitter que la jeune militante écologiste Greta Thunberg lui avait envoyé dans les dents (3,3 millions de likes) juste avant son arrestation.
Du côté des femmes, on n’est guère mieux loti. Passées les affirmations positives et deux ou trois règles de bon sens (ne pas s’accrocher à mec méchant ou infidèle, ok merci du conseil), place aux assignations conservatrices et culpabilisantes. Notre cher love coach Charles (102 K) explique donc à l’envi que si une femme souhaite revoir un homme, elle ne doit pas coucher dès le premier soir.

Quand d’autres coachs font passer la complexité des relations humaines, la spontanéité, le fait de prendre son temps pour une tentative de manipulation purement masculine. Sous prétexte de nous inviter à s’aimer ou à fixer des limites (ce qui est très bien), ces coachs en amour laissent entendre que les femmes seraient systématiquement des proies pour les hommes, fragiles, naïves et dénuées d’assurance.
Dans ce florilège, Lady Sonia (s’il vous plaît) sort du lot. Attitude à la Beyoncé, discours galvanisants, cette love coach nous incite à être puissante et sauvage. En plus, elle nous donne du “sugar queen” ou du “sugar cream”, et il faut avouer que c’est plaisant. Mais là encore, les femmes sont régulièrement appelées à “ramasser leur dignité” et à se respecter. 

Et dans un autre registre, il existe aussi les love coachs avec option religion, qui incitent les femmes à prier pour espérer se marier.

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Des algorithmes et des clichés 

Vous avez énormément de publications de ce type dans votre feed et vous ignorez pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que les algorithmes, mis au point par des êtres humains, ont eux aussi des biais misogynes. Ainsi, si vous êtes une femme célibataire, divorcées et/ou sans enfants, les réseaux sociaux auront tendance à vous proposer des contenus en lien avec l’amour et le romantisme. Parce que c’est bien connu, les femmes seules ne pensent qu’à ça. Les algorithmes peuvent donc avoir des biais (sexistes, racistes) parce qu’ils sont majoritairement conçus par des hommes et ne sont que le reflet de nos sociétés. Shoelifer n’invente rien, deux scientifiques féministes ont écrit une étude très sérieuse sur le sujet (et ce ne sont pas les seules). 

Pour ce faire, les réseaux sociaux se basent sur nos données personnelles (activités en ligne, recherches, photos, achats) et parfois même nos conversations privées. Instagram n’a pas accès aux échanges privés, mais il collecte les commentaires postés, les interactions publiques entre utilisateurs et les hashtags utilisés. Ainsi, si les love coachs fleurissent sur votre feed, c’est que l’amour vous taraude forcément un petit peu. 

Photo(c) : The Kooples

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