HUMEUR : LE LUXE, L’EGOTRIP, LE CAFTAN HAUTE COUTURE ET MOI

Haute couture

C’est de plus en plus frappant : dans notre société, tout et tout le monde se place aujourd’hui comme un produit de luxe. Sur la toile comme dans la vie réelle. Et on peut dire que mon dernier mariage en date a remporté la Palme d’or. Du caftan (haute couture) au chef étoilé (of course), plus rien ne se veut “moyen”. Et pourtant, dans cette recherche du “toujours plus”, le “presque bien” est souvent de mise. Mais jusqu’où ira-t-on pour se faire mousser ? Dans cette surenchère perpétuelle, j’avoue m’emmêler un peu les pinceaux. L’humeur (egotrip) du mois, c’est par ici.


Cette prise de conscience est arrivée alors que je patientais à un carrefour. En cinq minutes à peine, huit écrans géants m’ont mis sous le nez leurs publicités soi-disant premium. Voiture, agence de voyage ou même chocolats : tous me vendaient des images d’un rêve glamour, réservé à l’élite. C’est là que ça m’a frappée. Le luxe et tous les superlatifs qui s’en rapprochent constituent désormais l’essentiel des arguments marketing du marché. Le “plus beau pays du monde” aurait-il vendu son âme au diable ? Même mon épicier du quartier s’y est mis en me proposant des chips au sel d’Himalaya. “Qualité haute couture”, m’a-t-il dit. Well, well, well… Le fait est qu’en matière de luxe, le Marocain est une cible de choix. Selon le rapport publié par le Mastercard Economics Institute en début d’année, notre chère patrie s’est d’ailleurs hissée au sommet des consommateurs de biens de luxe parmi les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique. Et ce n’est pas près de s’arrêter car les recettes en 2023 s’annoncent…fructueuses. Résultat, tout nous invite à combler notre soif consumériste en cédant au plus insidieux des péchés capitaux. 


Après tout, qui n’a jamais menti sur son CV ?

Vous allez me dire que je juge encore. Comme BAE qui n’a pas hésité à me répondre que “si enjoliver les choses peut permettre de faire rêver les gens, où est le mal ?”. Dans le fait que ces petites appellations et autres particules risquent de créer une perte de nos valeurs et notre rapport au simple, au beau et au bien fait, peut-être ? D’ailleurs, dans cette recherche constante de show off, les marques s’en donnent à cœur joie et n’hésitent pas à mettre le paquet pour imaginer des événements “haute couture”. Qui se transforment plus souvent en version bling-bling du souk de Bab Marrakech qu’en dîners mondains pour happy few. Chassez le naturel et il revient au galop ? Un peu à l’image de mon mec : bien que l’énergumène se soit vendu comme le mâle alpha idéal, quelques années de mise à l’épreuve ont bien fini par révéler ses défauts de fabrication. Je n’irai pas plus loin, mais ce que je peux dire c’est que du GBA (Golden Boy Armani), on est vite passé au SDD (Sportif du Dimanche Décathlon). Pourtant, croyez-le ou non, c’est bien ce dernier que je préfère. Sans artifices. Comme quoi, parfois ce n’est pas la peine de mentir sur la marchandise pour gagner le jackpot. Moi, en l’occurrence. 


Parle à ma main 

Force est de constater que cette tendance à vouloir tout exagérer est omniprésente, sur les réseaux comme IRL. Au mariage de ma cousine par exemple, j’ai vu débarquer une armada de prestataires “haut de gamme” aussi efficaces qu’un feu rouge en plein mois de ramadan. C’est dire. Lunettes noires rivées sur le nez, accent à couper au couteau et petit air supérieur en prime. Ils ne leur manquaient plus qu’une Choupette dans les bras. Avec, en haut de la pile, un traiteur qui n’a pas hésité à vanter ses plats élaborés par un chef “étoilé” dont, excusez-moi, seule la feuille d’or en décoration avait le goût de Palace. Pour les saveurs et l’originalité, on repassera. Bref, si la confiance en soi est une chose que j’approuve, elle est bien trop utilisée à mon goût par certains de mes congénères. Résultat ?  Je vous donne dans le mille, la moitié des invités a eu une intoxication alimentaire. La faute au caviar qui aurait tourné au cours du voyage en fourgonnette. Very VIP, vous avez dit ? 


Pour tout le reste, il y a MasterCard…

Si, au Maroc, on pense qu’accoler à la moindre prestation le mot “haute” le rendra plus “classe”, l’exemple le plus parlant reste sûrement celui du caftan haute couture. Car oui, on vous l’a déjà expliqué : il n’existe pas ! En effet, cette appellation ne se gagne pas en glissant un petit mot sur sa page Insta. “Elle est accordée à certaines maisons de mode par décision du ministre en charge de l’Industrie, sur proposition d’une commission de classement animée par la chambre syndicale de la couture en France. C’est cette dernière qui décide de qui la mérite en fonction de critères précis”, comme nous explique l’experte. Seulement ça et seulement dans cet ordre. Ça vous en bouche un coin ? Il ne faut pas. Le “sur-mesure” et le “sur commande” fait par des artisans au “savoir-faire séculaire”, c’est tout aussi bien. À l’image de cette créatrice auto proclamée de caftans “haute couture” qui a passé sa soirée à rabâcher au mariage la difficulté de trouver du “tissu Chanel”… Alors que ses créations sont réalisées avec des étoffes tombées du camion de chez Zara, ou presque. Et dont ledit caftan a finalement rendu l’âme après un seul passage sur le dancefloor. Passons. Finalement, comme ma maman me l’a toujours dit, on ne dit jamais aux gens que l’on est la plus belle, même si on le pense très fort. Non, on attend toujours que le compliment vienne des autres : c’est avant tout ça la base de l’élégance, non ?  


L’arbre qui cache la forêt 

Sur la toile aussi, c’est un peu le grand fourre-tout aux superlatifs du luxe. Normal quand on sait que le marketing d’influence au Maroc a raflé les 3 milliards de dirhams en 2022. Du coup, tout le monde veut sa part du gâteau, en se perdant parfois au passage. Malgré le caractère “VIP” de certaines influenceuses sur les réseaux, certaines n’hésitent pas à nous glisser une publicité pour un petit yaourt bien de chez nous… ou une marque de couscous. Comme ça, vite fait en passant entre deux voyages à Miami et un contenu Bulgari. L’autre phénomène tout aussi agaçant et peut-être aussi incarné selon moi par ces coachs sur Instagram qui n’hésitent pas à nous vendre leur hygiène de vie healthy, comme leur meilleur atout beauté. Seriously ? Toujours plus, toujours plus haut ? Parce que, en vérité, je pense que le coach VIP, c’est surtout sa carte d’abonnement chez Monsieur Bistouri… Bref, il serait temps d’arrêter l’hémorragie. Dans cette société où tout le monde estime qu’il a quelque chose à prouver, je pense que finalement être juste soi ou seulement “bien”, parfois c’est aussi ce qu’il y a de mieux. 

Photo (c) : Fashion Gone Rogue

Par Sarah Kroche.

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Professionnels de la mode et du luxe, ils sont journalistes, stylistes ou photographes et surtout aguerris de longue date à l’exercice du style et de la création. Ils ont participé à la genèse de ce site et collaborent au quotidien, avec fraîcheur et non sans esprit critique, à forger son caractère. Découvrez la petite famille de Shoelifer.

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